Propos recueillis par Karima Alilatene
Après s’être doté d’un ministère des Mines, à l’issue du remaniement de juin 2020, de nouveaux changements sont attendus dans le secteur minier qui a été déjà doté d’une loi en 2014 qui prévoit, entre autres, des incitations à des investissements en partenariats pour les différentes catégories de ressources minérales notamment stratégiques, dont les textes d’application sont en attente. La nouvelle tutelle aura fort à faire pour remettre le secteur au premier plan dans la diversification de l’économie hors hydrocarbures et surtout d’atteindre son plein potentiel. Quel est le potentiel minier de l’Algérie ? Pour en savoir plus, qui mieux que Karima Bakir-Tafer, présidente du comité de direction de l’Agence du service géologique de l’Algérie (Asga), pour nous en dire davantage sur les moyens les plus efficaces de faire l’inventaire de ce riche potentiel dormant, estimé par les professionnels insuffisamment exploré et exploité. Suivons-la…
En préambule, qui est Mme Bakir ?
Karima Bakir : Je suis géologue de formation. J’ai débuté ma carrière professionnelle à l’Office national de recherche géologique et minière (ORGM), plus exactement à la Direction du service géologique de l’Algérie. Avec plus de 26 ans d’expérience, j’assure depuis 15 mois le fonctionnement de l’Agence du service géologique de l’Algérie (ASGA) en qualité de présidente du comité de direction constitué de 3 membres nommés par décret présidentiel. Je ne découvre pas l’Agence, il s’agit d’une ascension graduelle à différents niveaux de responsabilité.
L’Agence du service géologique de l’Algérie, instituée par la loi minière 14-05, est chargée de la gestion de l’infrastructure géologique, donc des travaux pour l’acquisition des informations de base du sol et du sous-sol de tout le territoire national. Il faut rappeler que le service géologique a été créé en 1883 sous le nom de Service de la carte géologique de l’Algérie. Il a subi plusieurs réorganisations et a été rattaché à différents ministères : Industrie lourde, Energie puis Industrie et Mines, et récemment, en 2020, sous tutelle du ministère des Mines.
Donc, vous maîtrisez les dessus et dessous de tout ce patrimoine…
En effet, au fil des années, la gestion de plusieurs projets et structures de l’Agence m’ont permis d’acquérir une bonne maîtrise des différentes activités de l’Agence, notamment en matière de géo-information, de cartographie, de ressources minérales…
Les prérogatives de l’Agence consistent, notamment, en l’élaboration du programme national de cartographie géologique régulière à différentes échelles, de l’inventaire minéral, de la gestion de la Banque nationale des données géologiques (BNDG) et de la publication officielle et diffusion des documents, cartes géologiques et thématiques…
En résumé, l’activité de l’Agence, qui vient en amont de toutes les activités économiques liées aux sciences de la terre, gravite autour de trois missions principales : l’acquisition de l’information géologique de base à travers l’établissement de la couverture géologique, la réalisation de l’inventaire minéral et la collecte par le biais du dépôt légal, le traitement et l’analyse à travers la BNDG qui est opérationnelle depuis 2019 et la diffusion publique à travers la Bibliothèque des sciences de la terre (BST), les revues géo-scientifiques, les cartes, le site web.
Ces missions prises en charge par trois divisions techniques de géo-information, de cartographie et de ressources minérales concourent, notamment, à inventorier toutes les richesses minérales potentielles de l’Algérie.
Au-delà de ces prérogatives, quel est le point de situation du potentiel en surface et en sous-sol ? Estimez-vous que nous avons une totale connaissance de toutes ces richesses ?
Compte tenu de l’étendue du territoire national et de la diversité des richesses minérales, l’exploration n’est faite que partiellement. Le degré de connaissance des gisements potentiels est tributaire des différentes techniques et méthodes d’évaluation utilisées. Certes, depuis l’Indépendance à ce jour, l’Etat a pris en charge plusieurs programmes d’infrastructures, de prospection, d’exploration et de développement de plusieurs gîtes. Par ailleurs, l’Université algérienne a formé des géologues qui à la lumière de leurs travaux de recherches ont permis une meilleure connaissance du potentiel minier, mais des études plus approfondies sont nécessaires pour une exploration, une évaluation des ressources et exploitation optimale de ces richesses naturelles.
Après autant d’évolutions organiques, qu’en est-il des évolutions technologiques ?
En cartographie, nous nous appuyons depuis quelques années sur la télédétection qui est un puissant outil de découverte, d’analyse et qui permet la création de cartes de base sur lesquelles les données géologiques peuvent être superposées, puis vérifiées sur terrain. L’Asga s’est dotée de stations qui permettent une utilisation aisée des images satellitaires.
En géophysique, l’Asga a acquis des équipements : gravimètres, magnétomètres et logiciels pour l’interprétation des données récoltées sur terrain. Pour les analyses d’échantillons, l’agence finalise la mise en place d’un laboratoire d’analyses géologiques et minières doté d’équipements de dernière génération.
Quelles sont les priorités dans vos axes de recherches ?
En cartographie, le programme national est établi conformément au Schéma national de l’aménagement du territoire (Snat) et aux besoins des projets adoptés par le gouvernement, notamment en matière d’urbanisme, d’hydraulique et de travaux publics.
La priorité est également donnée aux zones vierges, où il n’y pas de cartographie et sous peu aux cartes très anciennes qu’il faudra actualiser. A titre d’exemple, nous mettons à la disposition des décideurs des cartes géologiques et thématiques (aléas géologiques) pour les besoins de projets d’urbanisme ou des grands ouvrages d’arts.
En ressources minérales, en application des instructions du président de la République et des orientations de monsieur le ministre Mohamed Arkab, l’accent est mis sur les cartes des ressources minérales et sur les synthèses établies à partir de la compilation des anciens travaux de la recherche minière, des travaux plus récents des opérateurs miniers et des projets de recherches au profit des institutions publiques. Ce sont des outils d’aide à la prise de décisions.
Quelles sont les dernières cartes réalisées selon ce procédé ?
Parmi les dernières cartes réalisées : la carte des ressources minérales de l’Algérie, la carte géologique de l’Algérie, les Cartes géologiques de Magra, Khenchela, Batna et de bien d’autres régions. Il faut savoir que l’établissement d’une carte nécessite en moyenne 36 mois.
Quels sont vos nouveaux chantiers ?
Aujourd’hui, le président de la République nous a donnés l’opportunité d’être sous la tutelle d’un ministère dédié exclusivement aux Mines et conformément aux orientations de monsieur le ministre des Mines, l’Agence déploie tous ses efforts pour répondre aux besoins de l’économie nationale en matière de cartographie, de ressources minérales et de géo-information. A ce titre, 29 projets de cartographie sont lancés. Des fiches d’inventaires et des synthèses par substances minérales accompagnées de cartes réalisées à partir des travaux de la recherche minière sont en cours d’élaboration et de finalisation pour certaines.
Y a-t-il encore du potentiel minier hors les projets en attente d’exploitation ?
L’Algérie de par sa grande superficie et de par les environnements géodynamiques et structuraux possède des potentialités minières aussi riches que variées. Depuis la nationalisation des mines, le gouvernement a toujours pris en charge des programmes d’infrastructures. Les études d’exploration ont permis de mettre en évidence un panel de substances minérales métalliques, telles que l’or, le fer, l’antimoine, le manganèse, le wolfram-étain… Cette palette pourrait être plus importante si des analyses de laboratoire fines sont effectuées, ce qui permettrait de définir des coproduits à extraire. Les moyens d’investigation modernes permettront la découverte de nouvelles occurrences et de développer certaines cibles classées non rentables économiquement ou anciennement abandonnées. En prévision d’une telle alternative, une carte des anciennes mines et carrières a été également établie par l’Asga.
L’Asga est chargée d’établir l’inventaire de ce potentiel minier, notamment des substances minières…
Dans ce cadre, l’Agence a élaboré 4.000 fiches, recensé 7.000 occurrences et indices pour les substances minérales métalliques ainsi que les substances minérales non-métalliques. Evidemment, ce ne sont pas tous les indices qui présentent un intérêt, pour le savoir il faut pousser les recherches et affiner leur étude.
Par ailleurs, l’Asga a édité, en 2019, la carte des ressources minérales de l’Algérie, trois cartes des gîtes minéraux du nord du pays : Oran, Alger et Constantine, une carte des gîtes minéraux du Hoggar et une carte des ressources minérales des Eglab dans le cadre d’une collaboration avec le service géologique des Etats- Unis (USGS). Des livrets des ressources minérales par wilaya, une carte des anciennes mines et une carte des mines et carrières en exploitation ont été également publiés. Tous ces documents sont disponibles au niveau de la Bibliothèque des sciences de la terre qui recèle plus de 70.000 documents entre ouvrages, cartes et rapports.
Quels sont les pronostics qu’on peut faire sur le secteur selon ces fiches synthèses ?
Le ministère des Mines a été créé pour contribuer à la diversification de l’économie nationale par la relance de l’exploration et l’exploitation des richesses minières nationales, la création d’emplois, notamment dans les zones éloignées et surtout pour satisfaire les besoins en matière première et, par conséquent, aller vers la réduction des importations de nombreuses substances. La tutelle s’intéresse à tous les produits pour une exploitation optimale des richesses minières à valeur ajoutée dans l’optique de réduire la facture d’importation des produits miniers qui s’élève à un milliard de dollars et passer à l’exportation de certains produits valorisés. En somme, satisfaire les besoins des différentes industries : pharmaceutique, cosmétiques, nanotechnologies, grâce aux terres rares, pour ne citer que celles-ci.
En Algérie, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, l’inventaire minéral fait ressortir un potentiel minier important qui pourrait résorber les importations, mais pour cela, faudrait-il une »revisitation » de certains gisements par des études plus précises à travers des analyses fines.
On parle d’une nouvelle économie numérique ; quels sont vos développements en ce sens ?
L’Asga a entrepris la numérisation de toutes les données techniques et administratives. Pour cela, elle s’est dotée de trois data center, un sur chaque site, et d’un serveur abrité à Algérie Télécom ainsi que d’équipements de numérisation (scanners, scanbook).
La Banque nationale des données géologiques (BNDG) opérationnelle depuis 2019, alimentée par les documents de la Bibliothèque des sciences de la terre (thèses, mémoires, cartes, publications, monographies…) et par les rapports du dépôt légal de l’information géologique géré par l’Asga, joue un rôle fondamental dans la mission de numérisation pour la mise à disposition de l’information géologique aux décideurs, acteurs et chercheurs universitaires.
Enfin, toutes les données administratives (dossiers ressources humaines, archives) et financières sont numérisées et archivées. Un travail continu de mise à jour est opéré.
En votre qualité de vice-présidente de l’Organisation des services géologiques africains (OAGS), quel type d’échange avec l’Asga ?
Il y a d’abord un échange d’expériences et de savoir-faire. Chaque trimestre, les services géologiques qui adhèrent à cette organisation, dont l’Algérie par le biais de l’Asga, font part dans un bulletin, spécialement dédié à l’activité des services géologiques africains, de leurs publications, conférences ou de la géologie de leurs pays.
Des projets d’intérêt commun sont également entrepris, à l’exemple de la carte sismotectonique de l’Afrique qui a été élaborée et éditée par l’OAGS.
Une assemblée générale est organisée annuellement, dans un pays africain élu, pour faire le point sur les activités de l’Organisation. A travers cette organisation, l’Asga a bénéficié de plusieurs cycles de formations dans divers pays : Maroc, Togo, Madagascar, Ethiopie… en cartographie et en géopatrimoine. Cela a permis aux géologues de maîtriser la gestion des données par le biais de logiciels et de se perfectionner sur le terrain.
K. A.