Dr Annette Seck Ndiaye, est Directrice de la Pharmacie nationale d’approvisionnement du Sénégal, elle a une riche expérience dans le domaine de la santé et a occupé plusieurs fonctions dans la société civile : présidente du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, secrétaire générale de Syndicat des pharmaciens d’Afrique, membre du conseil de l’Ordre des pharmaciens… Nous l’avons contacté à l’occasion du Salon Djazair Healthcare qui se déroulera à Dakar, pour connaître son point de vue sur cet événement et aussi sur le secteur de la santé et du médicament au Sénégal. Entretien.
Propos recueillis par Mourad Cheboub
Les champions économiques : Comme tous les pays de la planète, vous avez connu la crise sanitaire de la Covid-19, une période assez dure pour l’ensemble, peut-on savoir comment le Sénégal a géré cette situation en matière d’approvisionnement de médicaments sachant que les pays producteurs et fabricants avaient opté pour une limitation de leurs exportations, créant ainsi une certaine pénurie ?
Dr Annette Seck NDIAYE : Le Sénégal comme vous l’avez signalé n’a pas échappé à cette crise sanitaire inédite dans le monde. Nous importons l’essentiel de nos besoins en produits pharmaceutiques. Pour faire face, l’État a pris très tôt des mesures fortes au plan règlementaire notamment en octroyant une dérogation par rapport au code des marchés publiques pour toutes les acquisitions de produits relatives à la lutte contre la Covid-19. Ce qui a permis à la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA), une plus grande célérité dans ses achats. Le secteur privé pharmaceutique national a fortement été mis à contribution autant pour les fabricants locaux, les grossistes répartiteurs ainsi que les distributeurs privés de consommables. Certains produits ont été acquis parfois à des coûts très élevés avec des délais allongés mais la plupart de nos fournisseurs ont répondu présent face à nos sollicitations. C’est pourquoi il est important d’avoir des fournisseurs suffisamment fiables. En amont, nous avons dû nous réorganiser en interne en créant des «taskforces» spécialement dédiées aux approvisionnements et à la satisfaction des demandes adressées à la PNA.
En résumé, nous avons été assez résilients pour supporter cette crise.
Cette pandémie a sûrement fait prendre conscience aux Africains de renforcer le secteur pharmaceutique, afin d’assurer leur couverture locale et justement sur ce registre, peut-on connaître votre point de vue ?
La pandémie au Covid-19 en cours a ébranlé tous les pays, ce qui a mis à nu la fragilité de nos systèmes de soins y compris le secteur pharmaceutique. Pour notre pays, je pense que cette crise sanitaire doit être un catalyseur pour redynamiser le secteur pharmaceutique national. Les réformes sont ainsi donc engagées pour permettre le développement d’un tissu industriel performant afin de satisfaire, en priorité, nos besoins en produits de base, que ce soit des médicaments ou des dispositifs médicaux. Notre conviction, c’est qu’il faut mutualiser tous nos efforts pour booster le secteur pharmaceutique qui peut aider à résorber le chômage des jeunes particulièrement, les diplômés.
Le Sénégal accueillera ce mois de mai, El Djazair Healthcare à Dakar, un Salon qui regroupera plus de 50 laboratoires pharmaceutiques exclusivement algériens, une telle initiative sera-t-elle une occasion pour la PNA, d’élargir et de diversifier ses fournisseurs, et qu’attendez-vous d’un tel événement ?
Nous accueillons favorablement la tenue prochaine de ce Salon qui doit être, à mon sens, un cadre d’échanges entre les professionnels de la santé autant pour le secteur public dont nous sommes membres, que le secteur privé ainsi que tous les autres corps de métiers en lien avec la pharmacie. C’est un axe important de la collaboration entre nos deux pays.
S’agissant de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA) qui est la seule entreprise publique qui importe des médicaments et autres produits de santé au profit de toutes les structures sanitaires publiques et parapubliques, ce Salon est une belle opportunité de rencontrer de potentiels fournisseurs algériens.
Je rappelle que nous avons par le passé eu à travailler avec des laboratoires algériens notamment le groupe Saidal. Actuellement, nous sommes en train de signer un contrat avec la société des Industries médico-chirurgicales I.M.C qui a participé à notre dernier appel d’offres international pour la fourniture de médicaments et produits essentiels. Ainsi, ce sera l’occasion d’inviter d’autres fabricants algériens à participer à nos différents appels d’offres de médicaments et surtout celui réservé aux consommables qui est programmé cette année.
À ce propos, quels sont les principaux pays fournisseurs du Sénégal et comptez-vous des pays africains parmi eux, aussi à combien est évaluée la facture d’importation des médicaments et des dispositifs médicaux pour cette année ?
La PNA s’approvisionne à la fois sur le marché local et bien sûr au niveau du marché international. Les acquisitions au niveau local correspondent à moins de 10% de nos achats tandis que la grande majorité de nos approvisionnements font l’objet d’importation avec nos fournisseurs étrangers. Il s’agit principalement des pays asiatiques notamment l’Inde, la Chine, le Pakistan et les Émirats arabes unis. Nous importons aussi à partir de l’Union européenne (Allemagne, France, Danemark, Italie, Portugal etc.).
Les pays africains ne sont pas en reste notamment les pays d’Afrique du Nord (Egypte, Maroc, Tunisie, Algérie) et secondairement avec ceux d’Afrique de l’Ouest (Ghana, Mali et Togo).
Pour l’année 2021, la valeur des importations est de l’ordre de 24 milliards et pourrait atteindre plus de 27 milliards francs (CFA) cette année.
Actuellement, l’Algérie compte plus de 170 laboratoires, parmi eux nombreux sont ceux qui souhaitent investir et exporter en Afrique et notamment au Sénégal, pensez-vous que c’est un avantage pour la région ?
Le développement des échanges intra-africains doit être soutenu et renforcé pour une autonomie progressive du continent surtout dans le domaine de la souveraineté pharmaceutique de nos pays. La crise sanitaire nous a montré qu’il faut d’abord compter sur nous-même.
L’objectif du Sénégal, pour rappel, est d’atteindre un taux de couverture de 35% de ses besoins en produits pharmaceutiques à l’horizon 2035 et 50% en 2050.
Certains pays sont plus en avance que d’autres dans le domaine de la production de médicaments et d’autres produits de santé. L’Algérie est dans ce cas de figure tout comme d’autre pays du Maghreb et je pense que le partenariat avec le Sénégal doit aller dans ce sens.
L’État, à travers le ministère en charge de la Santé et d’autres départements ministériels, a engagé de vastes réformes du secteur pharmaceutique au niveau des textes règlementaires ainsi que les conditions d’existence et d’émergence économique des entreprises pharmaceutiques. Les laboratoires algériens en plus de pouvoir distribuer leurs produits doivent nouer des partenariats avec les privés sénégalais en vue de l’installation d’unité de fabrication de médicaments et dispositifs médicaux. Le domaine des consommables médico-pharmaceutiques constitue une grosse opportunité à cet égard. C’est cela qui peut apporter de la valeur à notre coopération. La proximité entre nos pays doit être un atout comparé aux pays asiatiques.
M. C.