Propos recueillis par Célia
Dans le présent entretien, Mohamed Ali Jebira, conseiller dans les services financiers, soutient que le développement des start-ups, en Algérie ou ailleurs, passe par la construction d’un écosystème interconnecté. Plus des connexions sont établies au sein de l’écosystème, plus il y a des chances de travailler sur le bon challenge au bon moment. En ce qui concerne les Fin’Tech, leur croissance rapide aux USA et en Asie, et l’émergence de hubs Fin’Tech mondiaux au Kenya, au Nigeria, au Ghana et en Afrique du Sud, dans le Continent africain, est annonciateur de belles perspectives pour les autres pays, entre autres l’Algérie. Dans notre pays, estime le représentant du cabinet Deloitte, la population jeune sera la source de l’adoption des produits et services Fin’Tech.
Que pensez-vous de la croissance des start-ups en Algérie ?
Mohamed Ali Jebira : Le principal objectif des start-ups est de répondre à des challenges socioéconomiques existants ou nouveaux à travers l’innovation. La valeur ajoutée des start-ups est d’autant plus grande que les défis de transformation, technologique notamment, le sont. Les challenges d’investissement et les barrières réglementaires peuvent ralentir la croissance des start-ups, mais ce sont aussi des défis qui peuvent être résolus au sein de l’écosystème lui-même.
Au lieu de penser à la croissance des start-ups individuelles en Algérie, nous devrions nous concentrer sur la construction d’un écosystème interconnecté et fournir un forum pour que les innovateurs puissent collaborer. Plus nous établissons de connexions au sein de l’écosystème, mieux il y a des chances que la bonne équipe travaille sur le bon challenge au bon moment.
En outre, comme plus de 90 % des start-ups échouent, un écosystème d’innovation sain devrait non seulement offrir à ces équipes des canaux organiques de partage d’expérience, mais aussi des opportunités pour les réintégrer dans des rôles de leadership et de mentorat.
La diffusion des leçons apprises par les entrepreneurs expérimentés garantira la croissance de l’écosystème lui-même et, avec les réseaux adéquats, conduira à une croissance collective des start-ups.
Et pour ce qui est des Fin’Tech de manière particulière ?
Le cas de Fin’Tech, non seulement en Algérie, mais aussi dans toute l’Afrique, est prometteur. Alors que les années 1990 ont vu le lancement des produits et services Fin’Tech aux États-Unis et que les deux dernières décennies ont vu une explosion de la pénétration de Fin’Tech en Asie, nous pouvons être confiants qu’une opportunité similaire est aujourd’hui présente dans toute l’Afrique.
Le Kenya, le Nigeria, le Ghana et l’Afrique du Sud font partie des 100 principaux hubs Fin’Tech mondiaux, et de nombreuses start-ups sont financées par du capital-risque de la Silicon Valley. Vu l’interconnectivité du système bancaire mondial, toute pénétration Fin’Tech sur le Continent offre une opportunité aux autres pays d’accélérer leur adoption des produits et services Fin’Tech.
Plus important encore, l’émergence de hubs Fin’Tech sur le Continent fournit aux gouvernements une prééminence réglementaire qui leur permet de préparer le paysage de manière proactive et de s’inspirer des initiatives réussies dans la région.
De même, l’Algérie a une démographie favorable à l’explosion des Fin’Tech. La population jeune, croissante, avec un potentiel de bancarisation important sera la source de l’adoption des produits et services Fin’Tech dans le pays, et le moteur de l’inclusion financière.
Avec un cadre réglementaire approprié et un écosystème qui favorise l’open-innovation entre les institutions bancaires, les compagnies d’assurance et les start-ups innovantes, la scène Fin’Tech en Algérie peut se développer rapidement.
Un accélérateur public «Algeria Venture» sera bientôt mis en place. Une telle réalisation aidera-t-elle réellement au développement des start-ups dans le pays ?
Valoriser les innovateurs et les fondateurs devrait toujours être l’objectif premier de toute initiative de soutien à l’innovation. La création d’Algeria Venture adresse un message clair aux entrepreneurs locaux et à la communauté internationale : le développement de l’écosystème de l’innovation est une priorité et le gouvernement est déterminé à promouvoir l’innovation et à encourager les entrepreneurs.
Une telle structure est un pilier important dans un écosystème construit par les entrepreneurs, pour les entrepreneurs. Non seulement Algeria Venture pourra piloter les efforts d’incubation, d’accélération et les initiatives d’investissement pour stimuler le partage d’expérience entre les start-ups et augmenter le rythme de maturité, mais elle pourra également servir de pont pour se connecter avec les écosystèmes voisins de la région et exploiter le potentiel de croissance de l’ensemble du continent.
A titre de comparaison, le rôle de Smart Capital en Tunisie dans la gestion et le développement de l’écosystème entrepreneurial a été une clé dans la croissance des start-ups en Tunisie. Gérée par des acteurs de l’écosystème reconnus, ils ont su mettre en place une belle dynamique entre les structures, avec l’Etat et entre les start-ups elles-mêmes, connecter l’écosystème tunisien à d’autres écosystèmes et enfin promouvoir la start-up Act et l’expérience tunisienne à l’international.
Une collecte de fonds réussie, comment doit-elle se faire ? Avons-nous la bonne culture de la levée de fonds ?
Avant de parler des structures des contrats, nous devrions commencer par la culture de la levée de fonds. Un écosystème entrepreneurial sain n’est pas nécessairement caractérisé par des levées massives, surtout s’il se trouve à un niveau de maturité précoce.
Les start-ups early-stage (phase d’amorçage) qui se concentrent sur la levée de fonds trop tôt sont souvent conditionnées par le montant qu’elles souhaitent lever et ne parviennent pas à trouver des moyens innovants pour faire face aux défis initiaux de la création d’une entreprise. Par conséquent, un écosystème d’innovation naissant (en l’occurrence Algeria Venture) devrait investir dans des initiatives d’éducation et de mentorat pour les jeunes fondateurs afin d’établir une culture saine et informée de la collecte de fonds, basée sur les meilleures pratiques des hubs les plus avancés du monde.
Quant à la structure des contrats eux-mêmes, elle dépend de la start-up et de l’investisseur. Tout d’abord, il est important pour les fondateurs en phase d’amorçage de ne pas solliciter uniquement des fonds, mais aussi un accompagnement et un accès aux réseaux et savoir-faire de l’investisseur. La compatibilité entre le fondateur et l’investisseur doit aller au-delà du potentiel retour sur investissement.
Par ailleurs, pour les fondateurs et les investisseurs des start-ups plus matures, qui ambitionnent de s’étendre au-delà du marché algérien, cela nécessiterait des levées de fonds plus importantes auprès d’investisseurs étrangers qui pourraient aider la start-up dans son expansion. Cependant, les conditions et les normes d’investissement sont différentes d’un pays à un autre. Avoir la prévoyance de discuter les défis potentiels de l’expansion au-delà du pays avec les investisseurs initiaux est donc un facteur décisif dans la structure des contrats.
Associé du cabinet Deloitte Algérie, Mohamed Ali Jebira dispose de plus de 17 d’années d’expérience à l’international dans le Conseil, principalement dans les services financiers. Il a participé à une multitude de projets pour des clients en banque, assurance et services financiers spécialisés. De même, il a travaillé sur la mise en place de systèmes d’information, d’accompagnement au déploiement de projets de transformation, de conduite du changement, de revue d’organisation, d’amélioration de la performance des processus et de risk management. Deloitte est un des quatre plus importants cabinets d’audit et de conseils mondiaux avec un chiffre d’affaires mondial de 46,2 milliards de dollars en 2019. C’est aussi le plus grand cabinet d’audit au monde en effectifs avec 312 000 employés.