Propos recueillis par Mourad Cheboub
Il a été nommé ministre délégué chargé de l’Industrie pharmaceutique dans le premier gouvernement d’Abdelaziz Djerad, et moins de six mois après, il est promu ministre à part entière lors du remaniement opéré par le Premier ministre. Lotfi Benbahmed, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est peut-être le ministre qui a le plus de pression que ses collègues. Il est conscient de cette lourde tâche et sait que désormais, tous les regards seront braqués sur lui. Il est, donc, appelé à jouer sur plusieurs fronts : veiller à la relance des 40 unités de production pour garantir la satisfaction des besoins nationaux à hauteur de 70%, réduire la facture d’importation de 1 milliard de dollars d’ici à fin 2021 et procéder à l’exportation.
M. Benbahmed ne semble point perturbé ou impressionné. Il est dans son élément, et le challenge lui convient parfaitement. Suivons-le.
L’industrie pharmaceutique algérienne se trouve à un tournant décisif de son histoire avec l’impulsion étatique donnée à ce secteur, et cette accélération de rythme depuis quelques mois renseigne sur une stratégie bien réfléchie ; en quoi consiste-t-elle réellement et peut-on en connaître les grandes lignes ?
Lotfi Benbahmed : Je dirai d’abord qu’aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique a été identifiée comme un secteur créateur de richesses en Algérie. Un des segments de l’économie nationale qui pourrait se porter vers l’export. Nous avons déjà pas moins de 95 unités en full process, c’est-à-dire qui vont de la matière première au produit fini et qui produisent plus de 50% de nos besoins de consommation. Ce sont plus de deux milliards d’euros annuellement et nous allons avoir près de 29 autres unités de production ou d’extension qui vont sur des formes très intéressantes comme l’oncologie, les collyres, les injectables, les hormones… ce qui nous permettra, donc, d’assurer notre indépendance par rapport à l’importation. On pourra vraisemblablement arriver à couvrir nos besoins à 70% d’ici deux à trois ans.
L’importation est plus constituée de produits d’une technologie particulière, notamment les anti-cancers qui reviennent très cher pour nos hôpitaux. Nous allons, donc, vers leur fabrication dans notre pays. Cette production sera assurée à la fois par les opérateurs nationaux et aussi par des multinationales de droit algérien, comme Sanofi, Pfizer, GSK… Donc, avec les deux, nous projetons d’arriver à l’exportation, et c’est ce que nous sommes en train de leur expliquer clairement. Pour ouvrir une usine de production dans notre pays, ce n’est plus comme avant. L’objectif du gouvernement aujourd’hui pour l’investissement ou la production est d’étudier, analyser et passer au crible tous les projets. Pour créer de la valeur ajoutée, on doit faire plus d’intégration avec beaucoup de produits locaux et ne pas faire de l’immobilier industriel, comme ça été fait avec les SKD et CKD dans l’industrie automobile, mais aussi en suscitant des exportations, c’est-à-dire ces laboratoires qui ouvrent des unités chez nous doivent se projeter et localiser des produits destinés à l’international, pour une région, un continent ou une zone. Ces laboratoires doivent considérer l’Algérie comme une de leurs plateformes pour l’export, et nous commençons déjà à avoir de très bons retours.
Et en ce qui concerne les laboratoires algériens, ou ce qu’on appelle les locaux, peuvent-ils se projeter dans l’export ?
Bien sûr. Nous avons des champions locaux, à l’image de l’historique Saidal ; une entreprise publique qui justement est en train de se réorganiser et aller sur des produits à forte valeur ajoutée comme l’oncologie, l’hématologie et tout ce qui est biotec. Saidal a les moyens et l’expérience pour aller aussi dans la recherche et le développement et se concentrer sur les produits stratégiques dont ont besoin nos hôpitaux et de réaliser des joint-ventures qui permettent des transferts technologiques. Nous avons aussi plusieurs producteurs nationaux privés qui produisent de l’injectable, des hormones, des antibiotiques, et toutes les formes sont fabriquées et maîtrisées en Algérie.
Que représente l’exportation algérienne aujourd’hui en matière de produits pharmaceutiques ?
Elle se résume à quelques millions d’euros, donc très peu. Ce sont des marchés parcellaires faits sur des initiatives personnelles de quelques laboratoires avec des marchés de proximité comme la Mauritanie et quelques pays de l’Afrique de l’Ouest, mais on sait que les contacts et les attentes sont très importants. Ces opérations ont été réalisées même s’il n’y avait pas de cadre organisé pour l’export. Il faut savoir que notre industrie pharmaceutique est portée par le marché local. Aussi, on a une progression importante sur notre marché. On n’a pas cherché ailleurs, on a cherché à développer notre gamme et les laboratoires enregistrent sans arrêt de nouveaux produits et différentes formes. Ils passent au liquide, aux formes sèches, à l’injectable, etc. Il y avait un dynamisme dans ce sens et on a noté une croissance locale de 17% par an pendant des années, mais depuis trois ans, il y a un ralentissement, ce qui nous pousse à faire des réformes, car même si nous avons une industrie pharmaceutique performante, notre réglementation est désuète, et aujourd’hui on est en train de mettre en place des décrets exécutifs pour rectifier certaines choses. A titre d’exemple, on a créé l’établissement pharmaceutique d’exportation avec l’idée d’aller aussi vers des plateformes logistiques chez nous.
La Pharmacie centrale des hôpitaux peut jouer ce rôle. Elle achète des produits chez les locaux et les revend, puisqu’elle fait partie de l’Association africaine des centrales d’achat de médicaments, qui l’a déjà sollicitée dans ce sens. L’export peut être une démarche individuelle, comme passer par une plateforme d’export pour se développer, même s’il y a beaucoup de problématiques réglementaires, comme l’enregistrement du médicament et autre.
Sur un autre volet, ces dernières semaines on parle de La relocalisation dans certains pays cela ne risque t- elle pas de freiner l’Algérie dans son élan ?
Bien au contraire, car le concept de relocalisation qui se fait pour l’Europe se fera au détriment de certains pays asiatiques qui sont devenus des puissances. Je dirais même que nous avons aujourd’hui des atouts que peu de pays possèdent. Il y a d’abord notre profondeur stratégique, une ressource humaine formée et de bons marchés, l’énergie pas chère et tout ces avantages permettent à de nombreux pays de réaliser des investissements et nous rentrons dans une aire politique beaucoup plus stable. Il y a une visibilité qui n’existait pas jusqu’à l’année passée, et notre gouvernement a la volonté d’aller vers une stabilité réglementaire.
Aujourd’hui, tout le monde a compris que ne nous pouvons plus vivre d’une économie rentière. Il faut diversifier nos ressources économiques, et le médicament en fait partie.
Justement, avez-vous une visibilité sur cette question d’export ?
On n’a pas d’objectif chiffré, mais l’idéal c’est que l’Algérie arrive d’ici 4 à 5 ans à couvrir une bonne partie de nos importations par les exportations. Je parle de plusieurs centaines d’euros. Nous devons capitaliser notre expérience et faire comme d’autres pays qui sont des hubs. Comme je l’ai dit précédemment, nous avons non seulement des atouts géostratégiques et autres, mais aussi une industrie existante et performante. Il suffit de créer des conditions favorables pour développer cet export. La demande existe, nous sommes sollicités par de très nombreux pays africains.
Beaucoup de décisions sont prises et plusieurs projets sont en cours pour permettre à l’Algérie de devenir une puissance pharmaceutique, cependant pour cela, un maillon de la chaîne semble ne pas être mentionné ou pris en considération, à savoir la communication. Qu’est-ce qui a été prévu pour rendre visible l’Algérie à l’étranger, et comment communiquer sur sa politique industrielle ?
Il y a un programme travail qui commence à être fait en collaboration avec l’Agence internationale de la coopération pour promouvoir l’image de l’Algérie, et l’Etat joue un rôle pour aider les entreprises par le biais de ce genre d’agences, de notre diplomatie et nous-mêmes en tant que ministère. Nombreux autres événements sont programmés, comme les salons et forums africains, et nous avons aussi nos industriels qui exposent et se déplacent aux différents rendez-vous professionnels internationaux.
Le gouvernement veut mettre les entreprises tous secteurs confondus en avant. Le ministère du Commerce extérieur ne travaille pas uniquement pour le pharma.
M. C.