Propos recueillis par Mourad Cheboub
Le Vietnam, est passé d’une économie planifiée à une économie de marché et ouvert sur l’international, se développe d’une manière très rapide et connaît aussi une croissance remarquable depuis 30 ans, peut-on connaitre, son Excellence, les réalisations qui constituent cette réussite dont tout le monde en parle aujourd’hui ?
M. Nguyen Thanh Vinh, Ambassadeur du Vietnam en Algérie : Après plus de 30 ans du lancement du renouveau (1986), l’économie du Vietnam s’est transformée et est passée d’une économie planifiée sous-développée à une économie de marché dynamique et ouverte sur le marché international. Le Vietnam a enregistré des progrès remarquables dans son développement économique avec un taux moyen de croissance annuelle du PIB de près de 7% tout au long de ces 30 dernières années. D’un pays qui était parmi les 40 pays les plus pauvres dans le monde et devrait importer presque tout avec une forte dépendance de l’aide étrangère, le Vietnam est devenu, aujourd’hui, l’un des premiers pays exportateurs mondiaux de plusieurs produits et se place parmi les pays à revenu intermédiaire. Outre le développement économique, le Vietnam a aussi porté une attention particulière au développement social, des ressources humaines, de l’éducation, la formation, de la culture et des sciences et technologies, ainsi qu’à l’assurance de la santé de la population. Le Vietnam a réussi alors à améliorer considérablement les conditions de vie de sa population et à gagner une place parmi les pays en tête du classement dans la réduction de la pauvreté, selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies.
Sur le plan des relations extérieures, le Vietnam poursuit avec persévérance sa politique d’indépendance, de paix et d’amitié avec d’autres pays, de multilatéralisation, de diversification des relations internationales et d’intégration régionale et mondiale. Le Vietnam est devenu membre de presque toutes les organisations et institutions internationales importantes. Il a également établi des relations diplomatiques avec 189 pays, et entretenu des relations économiques et commerciales avec plus de 230 pays et territoires, ce qui rend le prestige et la position du Vietnam sur la scène internationale de plus en plus renforcés. Une telle réussite a été réalisée grâce à une transition progressive d’une économie planifiée à une économie de marché à orientation socialiste. Aujourd’hui le privé joue un rôle de plus en plus important dans l’économie nationale dans de nombreux secteurs. Pour capter des ressources financières supplémentaires afin de mieux développer notre pays, créer de l’emploi et rétablir l’équilibre de la balance commerciale, on a mis des outils favorisant l’attractivité des investisseurs étrangers. Le Vietnam a opté pour une coopération élargie ainsi qu’une intégration économique avec les pays de la région et du monde. Sur le plan interne, nous nous sommes appuyés sur la promotion de l’investissement, l’industrialisation et la modernisation en encourageant des PME et les entreprises privées, la transformation progressive de la production et de l’autosuffisance en matière de produits agricoles sur la base de l’encouragement de la production des ménages. Cependant, nous sommes également conscients d’un certain nombre de problèmes et de limites du développement socio-économique actuel du Vietnam, tels que l’écart entre les riches et les pauvres dans la société, de nombreux défis restent à relever comme dans la protection de l’environnement, en particulier dans les grandes villes et les villages artisanaux et traditionnels ainsi que les effets négatifs du changement climatique comme la sécheresse, l’intrusion d’eau salée et les inondations.
L’actualité aujourd’hui, c’est la crise sanitaire due au Covid-19, qui a impacté l’économie mondiale, qu’en est-il pour le Viêtnam puisque son économie est basée sur les marchés extérieurs ?
A l’instar d’autres pays du monde, le Vietnam n’a pas échappé à des répercussions considérables dues à la pandémie du Covid-19 sur son économie. Pourtant, grâce aux mesures radicales et efficaces contre le coronavirus, il a pu endiguer tôt l’épidémie et redémarrer son activité économique. A titre d’exemple, pour le troisième trimestre, son PIB a progressé de 2,62%, soit une performance nettement supérieure au trimestre précédent (0,39%). Sur neuf mois, malgré le coût d’arrêt de l’économie mondiale, les exportations du Vietnam ont augmenté de 4,2%. L’activité manufacturière a, elle aussi, fortement remonté en régime et devrait conserver ce rythme au-delà de la fin de l’année (Entretien réalisé mi-décembre). De plus, le gouvernement accorde de la priorité à l’investissement public et va maintenir ce niveau l’an prochain. Cela va pousser le PIB au dernier trimestre. Sur l’ensemble de l’année, l’objectif de croissance de 2% n’est pas hors de portée. C’est un résultat encourageant dans le contexte de la récession de l’économie mondiale.
Le Viêtnam a beaucoup d’ambitions, avec des projets importants pour moyen et long terme et une vision jusqu’en 2045, cependant nous voulons nous attarder un peu plus sur la stratégie de l’Etat de faire du pays une puissance maritime d’ici à 2030. Peut-on avoir plus de précisions sur cette annonce.
La stratégie pour le développement durable de l’économie maritime d’ici à 2030 avec une vision à très long terme (jusqu’à 2045), le Vietnam a tracé les priorités de ses secteurs, qu’on pourra énumérer comme suit : le tourisme balnéaire, avec le développement des infrastructures et diversification des produits touristiques, ouverture de nouveaux sites en mer Rouge, encouragement de la participation des locaux aux activités d’exploitation durable de la mer et de la protection de l’environnement marine. En second lieu, on a les transports maritimes avec la création des services synchrones dans les ports internationaux, ports de transits et spécialisés et cela va avec la construction des infrastructures logistiques et des routes de connexion, l’amélioration des services et l’utilisation des nouvelles technologies dans la flotte commerciale. Notre objectif est la participation accrue des bateaux vietnamiens dans le marché international du transport. La troisième mission concernera, l’exploitation et l’exploration du pétrole de gaz et autres ressources minérales de la mer et autres types d’hydrocarbures ainsi que l’intensification de l’intégration entre exploitation et raffinage. L’autre secteur à développer et qui demeure important, c’est la pêche et l’aquaculture et qui connaîtra des transformations, passera des méthodes traditionnelles à l’industriel en introduisant des technologies avancées. Evidemment cela se fera avec l’augmentation des investissements pour les ports de pêche, l’organisation et le renforcement de la logistique. Nous insisterons sur l’interdiction des méthodes destructives et la promotion de l’exploitation durable permettant aux ressources de se reproduire. La priorité va aussi aux industries côtières, ce qui nous amène à accorder une importance réelle à la construction et la réparation des bateaux, la production de l’énergie, le traitement des produits bruts, les industries auxiliaires, raffinerie et pétrochimie et la mécanique d’invention. Enfin, viendront les énergies renouvelables avec la promotion et l’exploitation de l’énergie éolienne, solaire et d’autres formes; les nouveaux domaines de l’économie maritime sont nombreux que nous tâcherons d’exploiter comme la biodiversité et la pharmacognosie maritime et la culture des algues et des herbes marines.
Comment évaluez-vous les relations commerciales entre l’Algérie et le Vietnam jusque-là ?
Selon les statistiques des douanes vietnamiennes, le volume du commerce bilatéral en 2019 était d’environ 190 millions de dollars américains. Aujourd’hui, notre développement économique offre de nouvelles opportunités pour établir de nouveaux partenariats. L’Algérie et le Vietnam possèdent de grandes possibilités pour un partenariat d’envergure, qui mènera à la conquête d’autres marchés en Afrique, en Asie, et dans d’autres parties du monde. A mon avis, la coopération économique entre l’Algérie et le Vietnam n’est toujours pas à la hauteur des relations politiques pour plusieurs raisons que l’on peut citer : premièrement, l’une des principales raisons est le problème du manque d’informations et de compréhension du marché de l’un et l’autre. Comme vous savez, pour faire des affaires, des investissements, des voyages dans un autre pays, les entreprises comme les citoyens ont besoin d’informations et de renseignements sur les produits commerciaux, l’environnement des affaires, les conditions climatiques, la nature et ses habitants, l’histoire, la culture et les habitudes de consommation des populations dudit pays…Deuxièmement, le contact direct et l’échange entre les ministères, les secteurs, les collectivités locales, les entreprises et les personnes dans chaque domaine n’a pas été établi ou n’a pas été entretenu de manière continue. Il en résulte que l’échange d’informations, la consultation, la mise en œuvre de plans et accords de coopération entre les deux parties ne sont toujours pas mis en œuvre efficacement. Troisièmement, le manque d’un accord entre les deux pays pour encourager et protéger les intérêts légitimes des entreprises et des investisseurs dans chaque pays, ainsi que d’un mécanisme pour régler efficacement les différends économiques et commerciaux. A ma connaissance, l’établissement de tels accords bilatéral et de mécanisme de règlement pousseront des entreprises d’un pays à faire des affaires dans l’autre pays.
Le potentiel de coopération entre l’Algérie et le Vietnam, reste à exploiter, dans quels secteurs vous verrez les deux pays tirer le plus d’avantages ?
Le fait que l’Algérie met en œuvre la réforme afin de diversifier rapidement ses exportations hors-hydrocarbures, de booster le secteur minier et de développer l’agriculture au Sahara du sud-ouest algérien créera des opportunités de coopérations entre opérateurs algériens et ses partenaires vietnamiens, ayant beaucoup d’expériences dans l’exploitation des mines, la transformation des produits agricoles, la fabrication des produits de consommation. De sa part, le Vietnam appelle les entreprises algériennes à investir au Vietnam-la porte d’entrée aux marchés asiatiques, notamment ceux des pays de l’association de l’Asie du Sud -Est (ASEAN) de 650 millions de consommateurs.
Peut-on connaître le nombre d’entreprises vietnamiennes activant en Algérie et peut-on voir dans l’avenir d’autres s’implanter et des hommes d’affaires investir dans le pays ?
A l’heure actuelle, on compte seulement le groupe gazo-pétrolier du Vietnam (PVN) activant en Algérie sous forme de joint-venture. Le groupement Bir-Seba, co-entreprise entre Petro Vietnam Exploration Production corporation (PVEP, 40%), la compagnie thaïlandaise PTT Exploration and Production (PTTEP, 35%) et le group Sonatrach (25%) est le symbole de la réussite entre le Vietnam et l’Algérie. Douze ans après sa mise en œuvre (2003), ce projet pétrolier pour l’exploitation du gisement de Bir Seba a donné son premier baril en aout 2005. Le montant total de l’investissement du projet s’est élevé à plus d’un milliard de dollars. Sa capacité de production actuelle est de 18 000 barils par jour. Du coté vietnamien, les domaines qui intéressent nos investisseurs sont l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz, des mines, la transformation agroalimentaire…Je crois qu’avec la réforme économique actuelle en Algérie, on peut voir dans l’avenir des hommes d’affaires vietnamiens venir s’implanter et investir dans le pays.
L’Afrique constitue sûrement un objectif pour le Vietnam et son économie, existe-t-il une stratégie pour ce continent ?
Le Vietnam et les pays africains partagent de nombreuses similitudes dans plusieurs aspects. Sur le plan historique, les relations vietnamo-africaines ont été construites et nourries d’une aspiration commune de l’indépendance et de la liberté au cours des années 1950. Pendant la période de lutte contre le colonialisme pour l’indépendance nationale, le Vietnam et des pays africains se sont entraidés de manière sincère. Sur le plan économique, ayant le même niveau de développement, le Vietnam et les pays africains sont également des économies d’agriculture et d’autosuffisance. Leurs économies sont actuellement complémentaires les uns aux autres, à savoir un grand potentiel pour promouvoir une coopération multidimensionnelle. Sur le plan social, le Vietnam et les pays africains partagent une démographie jeune et dynamique, le besoin d’échanger et d’apprendre les uns des autres au service du développement. Sur la base de la relation d’amitié traditionnelle et le lien historique et du même niveau de développement économique, de la structure sociale et culturelle, le Vietnam souhaite évidemment renforcer des relations avec les pays africains de manière égale et de bénéfice mutuel, sur la base du respect de l’indépendance, de la souveraineté et des principes fondamentaux du droit international de la paix, la sécurité et le développement mondial.
Sur le plan économique, le Vietnam souhaite promouvoir davantage la coopération économique et commerciale avec les pays africains, en particulier dans les domaines oû les deux parties ont des avantages tels que l’intensification des échanges commerciaux, en particulier les produits avec des atouts de chaque partie, l’investissement, l’énergie, la coopération dans le domaine du travail, l’échange d’experts, la coopération dans l’approvisionnement des matières premières pour les industries pour l’agro-industrie, la transformation des produits de mer… Pour y parvenir, les deux parties doivent accélérer la signature des accords de coopération tels que l’accord de la double imposition, l’accord de promotion des investissements en créant un cadre juridique à promouvoir la coopération économique plus profonde. Sur le plan socioculturel, le Vietnam souhaite multiplier les activités diplomatiques populaires avec les pays africains, renforcer la coopération en matière de la culture, le tourisme, les échanges d’experts. Pour finir, j’ai la conviction que dans l’avenir, avec de bonnes relations politiques, nous pourrons mettre en place un processus de coopération pratique et efficace dans l’ensemble des domaines.
M. C