Propos recueillis par Karima Alilatene
Cosider Group signe une croissance à deux chiffres en 2019, soit 15%, portant ainsi son chiffre d’affaires à 209 milliards de dinars. Une croissance soutenue grâce à la diversification des activités du Groupe et au dynamisme de quatre filiales travaillant en synergie avec d’autres de soutien sur les plus importants chantiers : la réalisation du métro, la fabrication et pose de pipes, la construction de logements et autres ouvrages d’art. En dépit de la conjoncture socio-économique que le pays traverse, accentuée en 2020 par la crise sanitaire mondiale, Cosider Group, une entreprise aux capitaux marchands de l’Etat, compte maintenir sa croissance grâce à son plan de charge et au lancement des projets inscrits au plan de relance 2021, à l’exemple de la ligne minière, le port Centre… Cosider Group a une ambition internationale ; il sera sur des chantiers à l’international en 2021, et il n’y a pas que le BTP. CosiderGroup, croit-on savoir à l’issue de cet entretien, a inscrit sur ses tablettes de nouveaux développements, en cherchant de nouveaux pôles de croissance, dont l’agriculture qu’il a investi depuis peu à travers une nouvelle filiale, à savoir Cosider-Agrico.
En préambule, permettez-nous de revenir sur l’exercice 2019, année où vous avez dépassé le seuil des 200 MDA de CA, avec un taux de croissance à deux chiffres grâce, notamment, à Cosider TP, Canalisation, Ouvrage d’Art et Construction, filiales leaders du groupe qui en compte aussi d’autres. Comment peut-on commenter ce chiffre, comparé à celui de vos concurrents nationaux et internationaux opérant sur notre marché dans le même domaine ?
Lakhdar Rekhroukh : l’année 2019 a été, certes, une année difficile en raison de certains problèmes socio-économiques qu’a vécu l’Algérie, accentués par la chute des prix du pétrole. Il est vrai que nous avons connu des perturbations dès l’entame de l’année mais ils ont été vite résorbés. Le problème était l’impact sur l’environnement économique dans le sens où de nouveaux projets étaient rarement proposés. Certains projets ont même été gelés, et vous n’êtes pas sans savoir que les revenus de l’Etat se sont amoindris. Donc, les investissements dans la construction des infrastructures de base, notamment publics, ont énormément reculé. Le BTPH étant directement impacté, Cosider Group a été touché, mais cela s’est fait ressentir en différé car nous avions déjà un plan de charge en cours de réalisation. Nous avons enregistré certes, un plus grand résultat mais nous avons décroché moins de nouveaux contrats, ce qui à terme, révèlera une régression de l’activité. Le secteur du BTPH vit essentiellement de cette commande publique, si celle-ci vient à reculer ou à s’assécher dans le pire des cas, cela se fera sentir immédiatement sur un secteur fort employeur. L’avantage ou ce qui a immunisé Cosider Group est notre maîtrise des différentes techniques de réalisation et la diversification de nos activités dans différents secteurs économiques. Suite à la décision des pouvoirs publics de revenir vers l’outil national, nous estimons que nous pourrons nous substituer aux entreprises étrangères pour la réalisation des grands projets. Dans bien des cas, nous avons été réactifs et nous avons répondu aux urgences nationales, comme fut le cas pour l’achèvement de la 2e piste de l’aéroport d’Alger livrée en septembre dernier, les travaux sont en cours sur la deuxième piste.
Peut-on en dire autant pour l’année 2020, compte tenu de votre carnet de commandes de 422 milliards de dinars, représentant deux ans de couverture d’activité ? Est-ce suffisant pour un groupe qui compte plus de 40.000 travailleurs ?
Lakhdar Rekhroukh : Aujourd’hui, la situation est délicate pour le BTP. Comme je l’ai déjà mentionné, Il n’y a pas eu beaucoup de projets lancés. De nombreux projets sont gelés. Cependant, les projets qui doivent être lancés incessamment, permettront à mon sens, une relance de la machine du BTP et de l’économie en général. L’année 2020 est une année impactée aussi bien par les événements de 2019, accentués par une situation économique délicate à laquelle s’est greffée la crise sanitaire. La gestion de la pandémie de Covid-19 a imposé des mesures sanitaires drastiques ayant entrainé l’arrêt des activités du bâtiment qui sont basées en zone urbaine où le confinement était total. A la mi-juin, d’autres mesures d’allègement du confinement sont venues assouplir la situation, mais cela n’a pas permis une réelle reprise de l’activité. L’impact n’est pas seulement sur la production, mais aussi sur les charges directes, sachant que dans le BTP, les charges du personnel représentent entre 18 et 30%. Cosider Group a maintenu les salaires sans contrepartie de production, même s’il s’agissait d’un salaire de base plus certaines primes, s’ajoute à cela les autres charges d’amortissement des équipements, du matériel, les crédits dont les intérêts n’ont pas été gelés ce qui constitue un réel fardeau. Il est vrai que certaines de nos filiales ont été touchées plus que d’autres, mais à la fin de l’exercice, selon nos prévisions,
Cosider Group s’en sortira avec un minimum de pertes en productivité estimée à environ 25%, au premier semestre, le taux ne dépassera pas les 15% sur l’exercice total, ce qui en soi est une prouesse dans ce contexte de reprise difficile.
Et pourtant, il y a eu des aides de l’Etat pour le secteur public…
Lakhdar Rekhroukh : Justement, il y a eu des voix qui se sont élevées disant que les aides de l’Etat sont orientées vers le secteur public. A ce jour, il n’y a eu aucune mesure préférentielle à l’endroit des entreprises publiques, hormis celles qui assurent un service public telles que les sociétés de transport d’ailleurs publiques ou privées. Ces mesures sont pratiquées dans tous les pays sachant que certaines d’entre-elles ont recouru aux crédits bancaires pour assurer les salaires de leurs employés.
Justement, le Projet de loi de finances 2021 prévoit une diminution du budget d’équipement, cela va-t-il impacter votre plan de charge ?
Lakhdar Rekhroukh : Certes, la diminution des recettes de l’état pourrait occasionner une revue à la baisse de certains budgets dont les équipements, susceptible de ralentir non pas le secteur du BTP mais aussi plusieurs secteurs. Sur ce point précisément, je vous réponds en ma qualité de président de l’Union Nationale des Entrepreneurs Publics, présent à la conférence nationale portant sur la relance économique, présidée par monsieur Abdelmadjid Tebboune, le Président de la République, en juin dernier où nous avons proposé un certain nombre de mesures pour soutenir le plan de relance. Nos propositions consistaient, entre autre, en l’adoption de nouveaux modes de financement comme la concession pour permettre aux entreprises elles-mêmes, aux banques et aux partenaires étrangers d’investir dans les projets structurants et faciliter ainsi la relance de l’économie nationale.
Cosider Group dispose d’une organisation atypique en comparaison à d’autres entreprises concurrentes des travaux publics ; est-ce moins contraignant pour vous, gestionnaires dans la prise de décisions et de risques d’investissement et autre management de projets ?
Lakhdar Rekhroukh : Cela est plus le fruit de notre mode de gestion. Cosider Group a pris le pli de se mettre en porte-à-faux contre toute forme de concurrence, même, disons-le, des plus rudes. Durant les années 1990, nous étions sous tutelle du Ministère de l’Industrie lourde, secteur qui ne pourvoyait pas de plan de charge. Peu après, Cosider était affilié au holding matériaux de construction, période où la commercialisation du rond à béton constituait la plus grande part de notre chiffre d’affaires. D’ailleurs, en 1994, ce marché nous a mis dans des difficultés énormes en raison des cumuls des pertes de change après les dévaluations de la monnaie nationale nous mettant ainsi en situation d’endettement.
L’organisation opérée au sein du groupe ainsi que la diversification de nos activités nous a permis par la suite d’augmenter notre plan de charges. Nous avons certes bénéficié du gel des agios en 2003, des mesures de redéploiement mise en place par le CPE par l’accord de crédits bonifiés. Ceci nous a permis en 2009 de rééquilibrer nos comptes et de devenir ce que nous sommes aujourd’hui, un groupe fort de ses 10 filiales et ses nombreux partenariats. Il occupe la place de leader dans le secteur du BTPH en Algérie et la 3e en Afrique selon le classement de Jeune Afrique en 2019.
Cosider Group maintient des taux de croissance à deux chiffres malgré une évolution d’un marché ouvert à une Concurrence internationale non des moindres, dont la présence des géants mondiaux de la construction sur notre marché ; cette croissance était-elle satisfaisante si le marché était moins infesté de concurrents, notamment internationaux opérant sur notre marché qui ont eu la part belle ?
Lakhdar Rekhroukh : Premièrement, nous ne pouvons, en tant que groupe activant uniquement en Algérie, nous comparer aux géants mondiaux, pour qui, d’ailleurs, le marché algérien ne représente pas une part majeure comparé à leurs carnets de commandes ailleurs. Pour répondre à votre question, ces sociétés étrangères ont pris une grande part des marchés en Algérie, notamment dans le BTP. Pour ce qui nous concerne, nous estimons que nous aurions pu faire plus, mais il faut rappeler qu’au début des années 2000, nous sortions d’une situation où le pays était isolé après la décennie 1990. Il y a eu une politique et une communication pour sortir de cet isolement et il devait être fait entendre que le pays était ouvert aux partenaires étrangers. La situation qui prévalait alors, concernant notre secteur ou autre, est que nous manquions de capacités nationales de réalisation, pour rattraper le retard enregistré dans certains domaines. Afin de se positionner face à cette concurrence, le Groupe Cosider a mis en harmonie ses moyens avec son plan de charges par les investissements consentis qui lui ont permis de multiplier son chiffre d’affaires par 11 fois en 18 ans ; c’est déjà une prouesse.
Allez plus vite aurait pu être dangereux. Le management de Cosider lui a permis de se diversifier, d’augmenter son chiffre d’affaires. Si on n’avait pas adapté notre organisation, on n’aurait pas pu suivre cette évolution d’envergure ou cette dilatation. On aurait pu faire plus, mais nous avons pris ce que nous avons pu décrocher. Nous estimons que nous avons été lésés sur certains projets, sur lesquels nous étions systématiquement écartés en raison des conditions d’éligibilité, comme fut le cas de l’autoroute Est-Ouest, mais cette frustration, si j’ose dire, ne nous a pas empêchés d’aller arracher des plans de charges. L’Algérie était toute entière en chantier. Nous avons eu quelques marchés de gré-à-gré à partir de 2012. En revanche, nous n’avons même pas eu cette préférence nationale comme le stipule la réglementation du code des marchés publics. Ceci nous a permis de jauger de notre compétitivité Dans le secteur du transport ferroviaire, par exemple, notre part du marché se limitait à la réalisation des terrassements et travaux de génie civil mais grâce à notre investissement nous réalisons aujourd’hui la pose de rail. Nous avons commencé avec 100 km de voies, un marché acquis en gré-à-gré, et depuis, nous réalisons 700 km de voie ferrée. C’était le cas pour le pipe, les tunnels, les barrages, les ouvrages d’art , les logements, maîtrisés grâce aux différents groupements avec des partenaires où assistants techniques étrangers. Cette diversification nous a permis, également, de segmenter nos activités et créer d’autres filiales telles que Cosider Canalisation En 2004 extraite de Cosider TP, et Cosider Ouvrages d’art en 2005 extraite de Cosider Construction, qui, réalisent des chiffres d’affaires presque équivalents à l’entreprise mère. Cette spécialisation par filiale permet au management de se consacrer à sa propre activité et surtout de la développer davantage. Cette délégation de pouvoir et cette autonomie de gestion qu’on octroie à nos différentes entreprises sont derrière cette synergie réelle au niveau du groupe entre les entreprises de travaux et de soutien, ce qui en soi a permis l’ascension de Cosider Group.
Vous avez sûrement d’autres ambitions pour des projets à l’international, dont l’Afrique est sûrement ce point de départ. Ouvrir des succursales dans d’autres pays du continent pour vous agrandir, est-ce déjà inscrit comme priorité ?
Lakhdar Rekhroukh : Cette question m’a déjà été posée par un ministre des Finances lors d’un salon du BTP. Ma réponse était oui techniquement nous sommes prêts, car nous avons prouvé notre compétitivité sur le marché algérien face à la concurrence locale et internationale. Maintenant, ce que j’ai demandé lors de la conférence sur la relance économique de juin avant d’aller chercher des parts de marché à l’extérieur, il faut d’abord mettre l’entreprise algérienne aux mêmes conditions que les entreprises internationales à l’étranger, à savoir qu’il faudrait des soutiens à tous les niveaux aussi bien logistiques, diplomatiques, l’accord d’une certaine liberté d’action et de l’initiative. La réalisation d’ouvrages ne peut pas avoir un traitement similaire à une simple commercialisation de produits, il faut s’investir, prendre en compte la circulation du matériel, des hommes, ce qui implique les secteurs des finances et des affaires étrangères. Il s’agit là d’un projet de gouvernement, et non pas seulement le propre ou la volonté de l’entreprise. Malgré ces contraintes, nous nous y sommes déjà rendus et nous avons déjà décroché un marché. N’était la Covid-19, on aurait entamé les travaux. Je ne m’étalerai pas plus sur ce projet mais je dirai qu’il est de moyenne envergure, et nous permettra de connaître les contraintes éventuelles du travail à l’étranger avec un minimum de risques. Cosider a toujours relevé des défis en tant que pionnier dans toutes les activités du BTP en Algérie. Notre challenge est de satisfaire le client, même si on ne vise pas à faire du bénéfice sur ce projet qu’on considère pilote à l’extérieur de notre marché traditionnel. C’est l’image de l’Algérie qui est engagée avant celle de l’entreprise. Sur un marché extérieur, on ne dira pas Cosider Group a réalisé mais les Algériens ont réalisé. Les noms des sociétés laissent place au profit de leur pays.
Des orientations vers l’exportation de produits et services sont données par le gouvernement ; est-ce que les conditions exogènes, telles que la présence de banques à l’extérieur, sont réunies pour franchir ce pas ?
Lakhdar Rekhroukh : La solution n’est pas uniquement dans la présence des banques commerciales sur les marchés extérieurs. Ceci est, certes, un plus pour les entreprises, mais nous souhaitons plus de souplesse de la part de l’autorité monétaire pour permettre la circulation des fonds, accompagnées, bien entendu, de toutes les mesures de surveillance pour repérer les opérations délictuelles.
Les projets gelés sont toujours d’actualité, à l’exemple du port de Hamdania et l’annonce du président de construire un hub aérien -aéroport- à Tamanrasset ; avez-vous réuni les chances ou les atouts de votre côté pour prendre une part conséquente de ces projets futurs, sachant que vous êtes mobilisé sur l’immense chantier du métro ?
Lakhdar Rekhroukh : Nous suivons de près depuis 15 ans tous les projets en attente, à l’exemple des projets miniers de Tébessa, de Ghar Djebilet, mais ce qui nous intéresse, ce sont toutes les infrastructures de base autour de ces projets, comme la ligne minière, et là c’est notre corps de métier. La voie ferrée représente environ 2 milliards de dollars et la conduction d’eau 1,5 milliard de dollars. Le port de Hamdania est un projet en cours. Si on vient à lancer ces quelques projets majeurs, nous allons booster l’économie, en particulier le BTP et toutes les activités en aval. Je cite en exemple notre filiale Cosider Carrières qui a investi à Tamanrasset, dans une unité de production de granit qui sera opérationnelle fin 2021, avec des capacités de production de 500.000 m2/an, qui pourrait répondre à la demande actuelle du marché algérien. Le développement de cette région l’aidera énormément à développer son investissement.
Mis à part ces pôles de croissance au cœur de votre métier, quels sont les nouveaux pôles de croissance pour Cosider, sachant que vous avez des projets d’investissement, depuis peu, dans l’agriculture ; qu’en est-il de cette diversification et de l’état d’avancement ou de maturité de vos projets ?
Lakhdar Rekhroukh : Cosider s’est lancé dans le secteur de l’agriculture fin 2017 par la création d’une filiale Agrico à capitaux 100% Cosider Group et une seconde, Cazda, avec une participation détenue à 70% par Cosider et 30% par un partenaire public. Les deux filiales sont déjà opérationnelles. Cazda dispose de trois fermes a pilotes d’une superficie totale de 16 540ha dans les willayas de Biskra, Djelfa, et Laghouat. La filiale Agrico compte trois exploitations de superficie totale de 25 000 ha repartie dans trois autres wilayas. Pour le moment, nous avons mis en valeur quelques 15.000 hectares à Biskra et autres dans la région d’El Meita, située entre Biskra et le sud de Khenchela,où nous sommes en train d’exploiter sur 17.000 hectares dédiés à la céréaliculture, 1.700 ha pour notre premier investissement.
Une fois les rendements maîtrisés, nous lanceront d’autres chantiers. Entre temps, nous sommes en phase de préparation des business plan pour l’arboriculture. On vise également l’oléiculture et l’amandier, en plus de l’élevage et de la production laitière.
Nous avons 3 fermes pilotes, et trois exploitations agricoles mais nous ne pouvons pas tout investir à la fois. Nous avons mis en valeur quelque 15.000 hectares à Biskra, et depuis 2019, 1.700 hectares sont mis en valeur à Khenchela.
Dernière question : à quel horizon Cosider Agrico sera-t-il champion du secteur de l’agriculture, comme c’est le cas des filiales leaders dans le BTPH ? Autrement dit, avez-vous de grandes ambitions dans ce secteur ?
Lakhdar Rekhroukh : Nous comptons bien entendu développer cette activité au même titre que tous les domaines que nous avons investi. Notre choix s’est porté, dans un premier temps, sur la céréaliculture, afin d’apporter une contribution modeste à la réduction de la facture d’importation de ces denrées, qui s’élève à 1,8 milliard de dollars. Je dis modeste, car il faut, vous le savez certainement, un million d’hectares pour contrecarrer cette importation. Les investissements sont lourds, surtout qu’il s’agit de régions à faible pluviométrie ce qui nécessite la réalisation de forages. A Khenchela, par exemple, nous étions contraints d’aller à 500 mètres de profondeur pour avoir un bon débit, ce qui constitue une grande charge. Heureusement que nous avons une filiale géotechnique, spécialisée dans le forage et les fondations spéciales d’ailleurs, qui preste pour le compte de notre groupe et des entreprises externes. L’avantage de ces régions agricoles est que nous pouvons mécaniser l’activité, étant donné l’étendue des terres, pour pouvoir rentabiliser les investissements. Une fois l’autosuffisance garantie, nous pouvons bien sûr nous orienter vers l’exportation.
K. A.