Propos recueillis par Akila ALLAMI
La refonte de la gouvernance du système bancaire algérien est une étape décisive dans le processus des réformes structurelles censées favoriser la transformation de l’économie nationale. Dans cette optique, le secteur sera appelé à s’inscrire dans les mutations en cours et à s’adapter aux exigences que suppose cette phase de transition.
Mais la priorité serait d’abord de mettre de l’ordre dans l’économie, estime Zine Barka, spécialiste en finances publiques. Suivons-le…
Le secteur bancaire est engagé dans une mutation qui devrait se traduire par une adaptation de ses missions aux exigences et besoins de la phase de transition de l’économie du pays ; quels seront les défis à relever à ce niveau et quelles devront être les priorités des banques publiques dans la phase à venir ?
Zine Barka : La réforme du secteur bancaire en Algérie est annoncée et déployée depuis de nombreuses années. Cette réforme s’est imposée pour accompagner ce qu’on appelle la transition de l’économie vers un système supposé libéral et à même d’affronter la concurrence extérieure et libérer les potentialités du pays pour soutenir la croissance économique. Or, cette transition à l’économie de marché ne s’est pas faite d’une façon continue et constante. Et il en est de même de l’évolution du secteur bancaire qui tantôt avance et tantôt s’arrête depuis l’introduction des réformes. Le secteur bancaire est, bien sûr, arrimé et au service du secteur économique pour son financement, en particulier. Et de ce fait, la priorité des priorités pour les banques publiques est de faciliter la transition vers une économie performante, ouverte, diversifiée et en mesure de satisfaire les besoins économiques et sociaux du pays et à l’écoute de la clientèle des banques (épargnants et investisseurs). Et les défis à relever pour les banques publiques sont nombreux et variés car celles-ci doivent s’adapter à cette évolution de l’économie qui se transforme grâce à l’utilisation des nouveaux outils de gestion plus performants et en phase avec la demande des clients qui, elle aussi, évolue. Par conséquent, il s’agit pour les banques publiques de s’adapter en permanence à l’évolution des exigences de l’économie. Mais la réalité algérienne et plus précisément la transformation de l’économie se fait d’une façon lente et désordonnée ce qui peut compliquer l’adoption d’une stratégie de réforme du secteur bancaire à même de supporter cette transformation par la recherche de performance par une gestion transparente, menée par des dirigeants formés aux dernières techniques bancaires et financières. Cela reste un grand défi à surmonter pour sortir le secteur de cette ornière.
La réforme bancaire doit être à la fois institutionnelle et réglementaire, que sous-tend une telle suggestion ?
Il s’agit ici de réfléchir à une restructuration du système bancaire national avec peut-être un redéploiement des agences à travers le territoire national en vue de le rapprocher davantage des clients potentiels accompagné d’une révision du cadre juridique et réglementaire qui régit et organise le secteur bancaire. Ce dernier aspect semble très important, car il faudrait faire évoluer la réglementation bancaire dans un sens où elle sera facile à interpréter et à appliquer dans le plus grand respect. Clarté, transparence et sincérité des comptes et bilans doivent être les maîtres mots de la nouvelle réglementation afin de rendre le secteur bancaire plus souple et réactif à son environnement. Cela mettra également le secteur bancaire sous protection des abus et des pratiques préjudiciables qui ont causé au Trésor des pertes considérables comme le cas de la Bank Khalifa et d’autres malversations que l’actualité judiciaire quotidienne déroule sous nos yeux avec des procès interminables de ceux qui ont abusé de la réglementation bancaire
Des spécialistes estiment que les autorités devraient définir d’une manière prudente les stratégies relatives à la conduite de la réforme bancaire en Algérie ; quels sont les arguments qui justifieraient une telle formulation ?
Ce qui est visé ici, c’est une réforme douce et graduelle. Pour être efficace, j’ajouterai qu’elle devrait être également durable. Les réformes du secteur bancaire habituellement mettent du temps à produire leurs effets positifs sur la croissance économique. Donc, il faut avancer avec beaucoup de pondération mais aussi avec détermination pour conduire les réformes audacieuses à même de mettre à niveau le système bancaire algérien qui connaît un retard énorme. Ne perdons pas de vue que la réforme bancaire va de pair avec la réforme des structures économiques ainsi que des institutions qui sont censées servir de cadre.
On parle de nécessité de l’émergence d’un système bancaire moderne, efficace et efficient, mais qu’en est-il des instruments de la politique monétaire ? N’était-il pas opportun d’aborder la réforme dans un cadre plus global et plus cohérent ?
Tout à fait. Le système bancaire n’est que le reflet de l’état de l’économie. La corrélation entre le système économique et le système bancaire est étroite. Un système économique débridé va de pair avec un système bancaire bancal, inefficient, bureaucratique et répulsif. Par conséquent, la priorité serait d’abord de mettre de l’ordre dans l’économie, et d’une manière synchronisée, entamer des réformes profondes au niveau du secteur bancaire et financier. Globalité, cohérence et simultanéité de l’action gouvernementale pour réformer l’économie et le secteur financier sont les axiomes à respecter pour pouvoir provoquer une croissance économique saine et soutenable.
L’absence d’un véritable marché financier et les difficultés à bancariser la masse monétaire circulant dans la sphère informelle pèsent lourdement sur le cours de la réforme engagée par les autorités ; quel est votre commentaire à ce sujet ?
L’informel représente un boulet pour toute réforme du système financier et de l’économie. Deux sphères qui cohabitent et qui agissent l’une contre l’autre. Chacune voulant se faire de l’autre. De ce combat, qui ne peut se solder par un nul, l’économie nationale n’en sortira ni grandie, ni compétitive, ni prometteuse d’emplois et de bien-être pour les générations à venir. Toute une ingéniosité doit être déployée pour approcher la masse monétaire circulant dans la sphère de l’informel qui représente à peu près la moitié de la richesse nationale. L’informel apparaît et prospère lorsque le manque de confiance dans la gestion du pays s’installe et que des instruments de contrôle et de régulation avec un personnel hautement qualifié sont inopérants, ce qui est le signe d’un Etat faible.
L’ouverture du secteur bancaire au privé algérien a été récemment annoncée par le ministre des Finances ; à quel objectif obéit réellement cette orientation ?
Cette annonce est faite dans le but de mobiliser l’épargne locale qui est importante. Il est vrai que depuis la disparition de l’unique banque privée algérienne Khalifa Bank, le paysage algérien actuel est fortement dominé par les banques publiques. Cet effet d’éviction du privé est dommageable pour les bienfaits de la concurrence et surtout reflète une économie encore dominée par un secteur public inefficace, bureaucratique et contribue à la détérioration du climat des affaires en Algérie. Il ne s’agit pas non plus, sous ce prétexte, de se lancer dans une ouverture ou une privatisation débridée du secteur bancaire ouvrant la voie à une fuite des capitaux et à des détournements de l’argent public et des épargnants d’une façon outrageante. Une bonne gouvernance, encadrée par une réglementation prudentielle efficace, moderne et transparente doivent être les garants de cette réforme au service de la croissance économique.
Faible niveau d’intermédiation et de capitalisation, mais aussi en matière de collecte de l’épargne et d’allocation des ressources. Comment remédier à ces contre performances dans la configuration actuelle du secteur bancaire algérien ?
Là, il y a beaucoup d’habitudes à changer. Comment amener les épargnants potentiels à se rapprocher d’un système financier fortement bureaucratisé, loin de la modernité et de l’efficience, non transparent avec une gouvernance d’une ancienne période et de surplus médiocre entourée par une ressource humaine, dans sa grande majorité, mal formée et pléthorique. On a une image très sombre de nos banques publiques ! En outre, les investisseurs sont déroutés par une réglementation alambiquée, compliquée et d’un autre temps. La plupart du temps, le simple calcul de rentabilité d’un projet d’investissement peut être remis en cause du fait de procédures archaïques qui se rapprochent parfois plus de l’arbitraire que d’une décision raisonnée, justifiée et clairement motivée. Encore une fois, le grand perdant c’est l’économie du pays qui régresse du fait de ces comportements irresponsables par des agents ou dirigeants souvent incompétents. In fine, le remède se situe au niveau d’une vraie mise à niveau du système bancaire grâce à une formation adaptée et en adéquation avec les pratiques étrangères. L’ouverture du système financier à la concurrence avec un segment national de banques privées peut constituer un aiguillon à la modernisation. L’impulsion de cette profonde réforme doit venir non seulement de la hiérarchie mais également de la clientèle qui doit montrer ses exigences en matière de services bancaires. On pourrait y ajouter à cette initiative un bourgeonnement d’associations de praticiens de la finance afin de mener des recherches académiques appuyées, ouvrant ainsi des débats sur ce qui pourrait améliorer le système financier et le rendre plus à même de contribuer efficacement au développement économique et social du pays. C’est une manière de faire face aux nombreuses contre performances du système.
A. A.