Propos recueillis par Karima Alilatene
L’Algérie inscrit en priorité à son plan de relance économique 2020 la relance du secteur minier. Celle-ci passe par l’exploitation dans l’immédiat de trois gisements (zinc, fer et phosphate), exploration de l’or, de la baryte et une industrie de transformation. De nombreux investissements sont à consentir à court, moyen et long termes, mais pour quel retour ? Pour en savoir davantage sur le rôle substantiel que jouera à l’avenir le secteur minier, nous nous sommes rapprochés de Messaoud Houfani qui, en sa qualité d’expert géologue et président de l’Anam, confirme avec pragmatisme le futur plan de développement porté sur l’exploration, l’exploitation, la transformation, l’autosuffisance et, enfin, l’exportation. Suivons-le.
En préambule, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs et pouvez-vous nous parler des nouvelles prérogatives de l’Anam suite à la création du portefeuille des Mines ?
Messaoud Houfani : J’ai pris mes fonctions depuis seulement trois mois à la tête du comité de direction de l’Agence nationale des activités minières (Anam) pour une mission bien établie, à savoir prendre en charge la gestion de l’Anam dans l’objectif de redynamiser et perfectionner le secteur minier. Aujourd’hui, l’Anam est une agence administrative souveraine, au même titre que sa consœur l’Agence de service géologique de l’Algérie (Asga). La principale mission de l’Anam est le développement de la recherche minière, la promotion des sites miniers, le contrôle minier et la délivrance des titres miniers. Elle est organisée en un siège central piloté par un directoire de 4 membres nommés par décret présidentiel et 19 antennes régionales implantées à travers l’ensemble du territoire national. Jusqu’à 2020, le secteur des mines a été rattaché à d’autres ministères. Tout d’abord, nous étions sous la tutelle du ministère de l’Energie et puis sous celle de l’Industrie, jusqu’à cette nouvelle décision du président de la République, qui nous a donnés cette chance d’avoir un ministère chargé exclusivement des Mines.
En application des orientations de monsieur le ministre Mohamed Arkab, l’Agence se dote d’une nouvelle vision et d’une nouvelle stratégie. D’abord, elle ne sera plus uniquement l’agence des sablières et carrières, elle va, désormais, retrouver son métier de base, qui passe par le nouveau plan d’action 2020-2025, qui consiste à procéder à des opérations de promotion dans le but de mettre en chantier pas moins d’une trentaine de gisements, qui sont principalement l’extraction des métaux de base : plomb, zinc, cuivre, or, fer, baryte, bentonite…, ainsi qu’une quinzaine de minéraux industriels, dont l’économie nationale a besoin et continue d’importer, malgré leur existence en quantités et qualités en Algérie.
A combien s’élève la facture de ces importations ?
Nous importons bon an mal an pour entre 500 millions et 1 milliard usd de produits miniers, ce qui est énorme ! Rien que pour le granit et le marbre, la facture annuelle s’élève à 100 millions usd ; alors que ce sont des produits disponibles chez nous en très grandes quantités et dans des variétés que beaucoup de pays nous envient. L’Agence a donné plusieurs titres mais les opérateurs trouvent souvent des difficultés administratives au niveau local.
Récemment, une unité de transformation de marbre a été inaugurée par le Premier ministre ; qu’en est-il de l’apport de cet investissement ?
Un bon exemple d’investissement abouti. A ma connaissance, c’est la plus grande usine dans ce domaine en Afrique. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’Agence a attribué de nombreux titres miniers et on fera très rapidement le point de situation sur d’autres projets qui peinent à démarrer. Pour revenir à l’investissement des Etablissements Hasnaoui auquel vous avez fait allusion, celui-ci est destiné à répondre aux demandes du marché national et beaucoup plus à l’exportation. Le marché algérien est demandeur en ces produits, il faut le satisfaire et exporter les excédents.
Maintenant que vous êtes doté d’un ministère exclusif aux Mines, cela signifie-t-il que vous avez plus de pouvoir d’actions ?
Avec un ministère dédié entièrement aux Mines, nous aurons plus de prérogatives et surtout une vision pour le secteur minier qui jusqu’alors n’existait pas. Le secteur minier était « dilué » au milieu d’autres considérations industrielles. Aujourd’hui, nous avons cette chance d’avoir un ministère et un plan à développer et à mettre en exécution.
Revenons, voulez-vous bien, sur la tendance historique de l’industrie minière en Algérie ; pouvez-vous nous donner une infographie du potentiel de ce secteur ?
L’Algérie avant l’Indépendance était un pays à tendance minière, réputé pour son cuivre, plomb, zinc, fer et marbre. Après l’Indépendance, nous avons continué à produire du fer, du plomb, du zinc, du phosphate… sans donner une impulsion au développement de cette industrie qui avec le temps a été réduite à sa plus simple expression, malgré son potentiel avéré.
Que voulez-vous dire par simple expression ?
Aucune incidence sur le PIB. Mais, heureusement que l’Etat a continué l’effort de recherche et d’exploration minière jusqu’aux années 2000, avec des concours définitifs. Chaque année, entre 1 voire 2 milliards de dinars sont consentis pour poursuivre la recherche minière. Au même temps, la cartographie géologique minière a été établie à différentes échelles. Un effort déployé avec la coopération de partenaires étrangers, notamment russe et autres jusqu’à son arrêt définitif avec l’avènement de l’horrible décennie noire. Heureusement que les ingénieurs algériens n’ont pas lâché prise, malgré le contexte d’insécurité, et ont continué à gérer bon an mal an une soixantaine de projets.
Quelles étaient alors les découvertes ?
Plusieurs découvertes, comme les gisements du plomb-zinc d’Amizour, dans la wilaya de Béjaïa, pour ne citer que ceux-là, et nombreux autres gîtes majeurs. Par exemple, le phosphate de Kef Senoun (Tébessa), wolfram-étain (tungstène) et les gisements d’or au Hoggar. C’est tout cet effort de recherche que nous allons utiliser maintenant. Mais si en matière d’exploitation, il n’y a pas eu un grand effort, en revanche, il y a eu l’exploration en matière de recherches minières. Les résultats sont là. C’est ce que nous voulons proposer à l’avenir.
Maintenant que le secteur des Mines est devenu une tutelle indépendante, cela préfigure-t-il le poids qu’il pèsera à court ou à moyen terme dans l’économie algérienne ?
Aujourd’hui, nous avons une mission stratégique pour le pays et ce, en application des instructions du président de la République de faire de l’Algérie un pays minier à court terme, notamment à horizon 2023. Certains projets seront mis en chantier dès le premier trimestre 2021. Le projet d’Oued Amizour est prioritaire, mais nous sommes pragmatiques. Son exploitation se fera en partenariat avec Terramin, partenaire australien dans la joint-venture West Mediterranean and zinc (WMZ), dont Enof détient 34% des actions. Il est, certes, vrai que la joint-venture a terminé l’étude de faisabilité et que nous sommes en phase de développement, mais WMZ est tenue de s’adapter au nouveau cadre légal de la règle 49/51%.
Porter le capital d’Enof à 51% pour se conformer à la LFC 2020 nécessiterait de mettre de l’argent dans le rachat des parts au-delà de celui des investissements d’exploitation …
A ce jour, je n’ai pas la prérogative de vous dire ce qui va se faire ou ce qui va se décider, mais les possibilités sont nombreuses et négociables. Nous avons la possibilité de racheter les dépenses du partenaire qui s’élèvent à 50 millions de dollars en payant soit en compensation financière soit en produits, c’est à négocier. Mais la dernière option est plus plausible pour nous.
Avoir un partenaire étranger ouvre-t-il une porte de fait au marché international ?
L’avantage aujourd’hui, c’est que la production sera écoulée en Europe qui n’a pratiquement plus de zinc. La Chine consomme pratiquement toute la production mondiale. Pour notre consommation locale, nos besoins dans l’usine de Ghazaouet sont estimés à 60.000 t/an de concentré de zinc qui à ce jour sont importés.
Quel est exactement le potentiel minier avéré de ce gisement ?
L’étude de faisabilité est basée sur un potentiel de réserve répondant aux normes internationales (normes dites Jorc) de 34 millions de tonnes pour 20 ans d’exploitation. Cet effort nécessitera pour atteindre l’objectif visé d’une production de 2 millions tonnes par an de minerais, soit un investissement de 323 millions de dollars pour l’ensemble du projet.
De combien et à quand serait le retour de cet investissement ?
Je ne peux pas vous donner plus de détails, c’est relativement confidentiel. Mais il est clair qu’il est attendu de tout investissement un retour. Sur ce projet, on table sur un chiffre d’affaire annuel estimé entre 150 et 160 millions usd, 600 postes d’emplois directs et 1.500 indirects.
Encore une question à ce sujet : quel est le prévisionnel de la production pour les besoins en consommation de l’industrie de transformation et qu’en serait-il des exportations ?
Notre objectif premier est de pourvoir notre industrie en produits miniers et exporter les excédents. C’est notre mission actuelle.
Aujourd’hui, il faut satisfaire la sidérurgie nationale, notamment Sider El Hadjar. Avec l’entrée en production de Gara Djebilet, nous allons pouvoir répondre à toute la demande nationale, qui inclut les sidérurgistes privés comme Tosyali, AQS… Avec l’ambitieux objectif d’atteindre la production de 12 millions de tonnes d’acier, nous sommes dans l’obligation de porter notre production à 30 voire 40 millions de tonnes de fer à 2030.
2030, c’est un peu loin ; qu’en serait-il d’ici 5 ans pour coller au plan de relance ?
Mis à part la mine Ouenza Boukhadra, qui est en exploitation et qui produit de 1 à 1,5 million de tonnes pour El Hadjar, il ne faut pas s’attendre à un retour tout de suite. Les investissements miniers sont lourds, très coûteux et à haut risque. Le retour d’investissement se réalise généralement sur une longue période. Le mégaprojet de Gara Djebilet (Tindouf) ne rentrera pas en production avant 5 ans. Pourquoi ? Il y a des délais d’ouverture et des opérations techniques incompressibles. Il va falloir construire une usine pilote sur site à Gara Djebilet pour faire les essais industriels et préciser les différentes caractéristiques et paramètres technologiques du minerai. Ce n’est qu’à partir de la maîtrise de tous ces paramètres qu’on pourrait définir l’investissement à consentir et pour quelles capacités de production.
A combien s’élèvera l’investissement et où trouver l’argent en ces temps difficiles ?
A l’heure actuelle, l’investissement est estimé à 15 milliards de dollars ; un investissement réalisable en partenariat d’Etat à Etat. Pour l’instant, des partenaires ont manifesté leur intérêt et sont déjà sur le projet. Ils sont chargés de traiter le minerai. Je ne peux pas en dire davantage sur ce projet car il relève du ressort de l’entreprise Feraal.
On parle de la relance économique qui passe par la croissance du secteur minier, cela demande des investissements chiffrés pour un objectif bien défini ; cet objectif est-il déjà fixé ?
Il est attendu une croissance de 25% qui repose sur les chiffres déclaratifs des entreprises minières sur les trois années à venir. En d’autres termes, à l’horizon 2024, la quantité en produits miniers augmentera de 25%, ce qui est notable, mais reste toujours en dessous des capacités installées. Il s’agit d’un objectif sur certains produits des entreprises comme Enof, ENG, MFE, Enasel et Somifer et Somifos.
Qu’en est-il pour l’industrie de la transformation ?
Jusqu’à 2020, aucun investissement dans la transformation des minéraux industriels n’a été enregistré, mais il est attendu l’entrée en production de 5 usines entre 2021 et 2022. A noter la production des carbonates de calcium (variétés micronisées) pour répondre aux besoins de l’industrie chimique, du papier et de la pharmaceutique. D’autres seront produits, comme la dolomie micronisée à Oum El-Bouaghi, la bentonite à Tlemcen, le feldspath à Annaba et les diatomées à Mascara qui seront produits par l’Enof. Il y a également une raffinerie de sel installée à El Outaya (Biskra) par Enasel, d’une capacité de 80.000 t/an. Elle produira des sels pour l’industrie pharmaceutique et autres utilisations domestiques. D’autres de même ordre de grandeur auront de l’impact sur la réduction des importations, comme la production de la baryte pour les besoins de Sonatrach à Draissa, dans la wilaya de Béchar, et un autre à Médéa en association avec trois filiales de Sonatrach et Enof. Il s’agit de la joint-venture Albaryte qui va combler les 80.000 t/an d’importation que consomme le secteur des hydrocarbures. Pour ces deux sites, il sera question d’exploiter l’usine d’El-Abed, dans la wilaya de Tlemcen, qui reste fermée à ce jour.
Qu’en est-il pour l’annonce de la transformation du phosphate ?
Malheureusement, à ce jour, l’Algérie ne transforme pas son phosphate, elle le vend en phosphate rock, qui du point de vue plus-value est faible. Avec 1 million de tonnes/an et 40 millions de dollars générés par année, il ne joue pas un grand rôle dans l’économie. L’objectif aujourd’hui est de changer de stratégie en faisant dans la transformation de notre phosphate naturel en plusieurs produits très recherchés sur le marché mondial.
La concurrence est redoutable à l’Ouest qui de plus dispose d’une longueur d’avance…
Nous n’avons pas que le concurrent de l’Ouest, il y a même celui de l’Est. Mais là n’est pas le propos. L’objectif est de lancer deux projets : l’un pour la production des engrais nécessaires à l’agriculture nationale et l’autre, soit l’excédent, à l’export. Je peux vous situer géographiquement les investissements. Le premier aura lieu à Souk-Ahras, pour les transformations en acide phosphorique, et les deux autres, notamment les DAP, engrais phosphatés azotés, seront produits sur deux sites distincts : l’un à Annaba et le second à Skikda. Ils seront alimentés par les mines de Djebel El Onk, dans la wilaya de Tébessa.
A quelle phase êtes-vous et avez-vous trouvé le partenaire technologique et pourquoi y a-t-il eu divorce par le passé ?
Il est vrai que nous étions avancés dans le projet avec un partenaire technologique, mais nous sommes appelés à le substituer dans un avenir très proche. Nous divergions dans nos visions qui sont diamétralement opposées. L’ex-partenaire pensait que l’option de transfert par pipes était plus rentable immédiatement en nature, mais nous, nous ne le voyons pas sous cet angle. Nous avions lancé un plan de rénovation et dédoublement de la voie de chemin de fer pour créer un couloir économique qui servira tous les gisements, notamment le fer. Il a, par ailleurs, émis des conditions de prix qui ne nous convenaient pas. En somme, il y a eu plus de divergences d’intérêts que de convergences. L’Etat algérien a décidé de relancer le projet. Nous n’allons pas réaliser le projet d’un seul tenant, à savoir aller vers la production de 6 millions de tonnes d’acide phosphorique, mais plutôt, pour un investissement d’une capacité de 3 millions de tonnes extensible par phases étalées sur 15 ans. Tous les 5 ans, il sera question de rajouter un module. Cela nous permettra de démarrer l’investissement avec 3 milliards usd au lieu de 6 milliards de dollars présumés pour l’ensemble du projet. Le deuxième projet consiste en la production de nutrition animale et végétale installé à Aouinet, dans la wilaya de Tébessa.
Le président de la République a demandé de mettre à jour la carte de la géologie minière ; que signifie techniquement cette demande ?
Monsieur le président de la République a bien raison de demander d’actualiser la carte et l’inventaire. La dernière carte étant mise à jour en 2016, c’est plutôt l’inventaire d’autres ressources minérales qui est demandé. L’Algérie est insuffisamment ou peu explorée. C’est l’occasion de revenir compléter l’inventaire des ressources minérales avec des nouvelles recherches, notamment sur la plateforme saharienne qui est étudiée par Sonatrach. Nous allons chercher, entre autres, des sels potassiques, des métaux et terres rares ainsi que des métaux de base.
Qu’en est-il au juste de la ruée vers l’or à Tamanrasset ?
C’est réellement un événement majeur. Des coopératives de jeunes vont être initiées pour exploiter de façon artisanale ce métal précieux et ce, pour la première fois hors l’entreprise Enor… L’Etat a décidé de consentir des aides aux jeunes qui veulent tenter de s’investir dans cette exploitation artisanale. Il en est de même pour l’exploration et l’exploitation de la baryte avec des moyens artisanaux, à travers des coopératives. Près d’une cinquantaine de sites sont inventoriés. Mais il est encore trop tôt de donner des détails, car il va falloir d’abord mettre le dispositif en place. Nous y travaillons.
Pour conclure, concrètement, qu’est-ce qui se fera tout de suite pour repositionner le secteur sur l’échiquier de l’économie ?
L’Anam est en charge, comme je l’ai mentionné tout au début, de la promotion de 30 gisements en adjudication dans le but de créer un pôle zinc Centre, dont 3 gisements prioritaires et une usine dans la wilaya de Sétif. Nous procéderons au lancement des appels d’offres dès 2021.
K. A.