Malgré les nombreux avantages comparatifs de l’Algérie, l’ambassadeur sénégalais Serigne Dieye a déclaré au cours de cet entretien, que le volume des échanges entre les deux pays est en dessous du potentiel industriel et de la qualité des produits algériens.
Pour amorcer une nouvelle dynamique à ces échanges, notamment dans le cadre bilatérale et aussi de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), il recommande aux opérateurs algériens de communiquer davantage et surtout d’investir au Sénégal pour se rapprocher du marché de la communauté Cedeao.
Dans ce contexte, il précise que de nombreuses opportunités sont à saisir pour les industries pharmaceutique, hydrocarbures, électriques et le Btp, soutenant que les entreprises algériennes à l’exemple de Cosider pourraient bien intervenir dans les projets inscrits au SPE dans le cadre Built operate transfert (BOT).
Propos recueillis par Karima Alilatene & Mourad Cheboub
Les champions économiques : Son excellence, vous avez pris vos fonctions en février 2021, vous avez sûrement connaissance de la situation des échanges entre les deux pays, le Sénégal et l’Algérie. Pouvez-vous nous donner un aperçu de ce qui a été fait jusque-là ?
Serigne Dieye, SEA du Sénégal : De prime abord, j’aimerai signaler la solidité des liens diplomatiques entre le Sénégal et l’Algérie qui sont bien consolidés déjà à l’orée de l’indépendance de l’Algérie en 1962. J’ai pris mes fonctions seulement en février 2021, et mon premier sentiment était de constater ce fort potentiel que recèle l’Algérie qui est loin de refléter la coopération commerciale entre nos deux pays. J’estime que les échanges entre l’Algérie et le Sénégal sont faibles. L’Algérie exporte des produits à faible valeur ajoutée comme les dattes, les céramiques et quelques matériaux de construction. Avec mes équipes de l’ambassade, j’active pour intensifier ces échanges. Je me suis rendu dans plusieurs wilayas où j’ai rencontré des responsables de Chambre de commerce et d’industrie, j’ai eu à visiter plusieurs entreprises industrielles et à participer à des événements, j’ai rencontré plusieurs organisations patronales à l’instar de Mme Saida Nagheza de la CGEA, le président de l’Anexal Ali bey Nasri pour les sensibiliser à renforcer les échanges commerciaux.
Après un an, j’estime qu’il y a eu du répondant et les premiers résultats sont probants au terme de cette intense activité de l’ambassade, à noter que de nombreux chefs d’entreprises algériens ont effectué le déplacement au Sénégal. L’objectif n’est certes pas de faire uniquement du commerce mais de leur montrer l’attractivité et l’avantage de s’installer au Sénégal, qui est une porte ouverte permettant la proximité au marché de la région, notamment de la communauté de la Cedeao qui compte 300 millions de consommateurs. Le message et le soutien sont bien perçus par les opérateurs : des projets d’investissements au Sénégal sont en cours de négociation entre les deux parties et en bonne voie pour se concrétiser. Nous les encourageons à le faire. Il est vrai qu’en 2021, la pandémie du Covid-19 qui a impacté l’économie mondiale, a quelque peu freiné d’un côté, l’élan mais à la fin du premier trimestre 2022, on commence à avoir une lueur d’espoir en posant de nouveaux jalons qui vont booster cette coopération. Les premiers résultats commencent à être perçus dans ce nouveau cadre et rapports.
Vous avez dit que des entreprises et des investissements sont en cours de négociations, pourrait-on savoir néanmoins dans quel domaine ou quelles sont les entreprises qui sont susceptibles de le faire ?
Pour l’instant, les négociations se poursuivent, ce n’est pas encore définitif. Mais nous avons de bels exemples de coopération enregistrés cette année avec le groupe GIBS de Mostaganem, qui a réalisé une opération d’exportation, les câbleries de Biskra qui ont aussi percé. Dans un premier temps, ces entreprisescherchent à prospérer et si elles parviennent déjà à se positionner, tout naturellement, elles vont chercher la proximité du marché en s’installant. De notre côté, nous les encourageons à réaliser des partenariats. Certain à l’instar du groupe public Sonelgaz qui travaille avec son équivalente Société d’électricité du Sénégal, pour vous citer que cet exemple.
Peut-on connaître les avantages dont dispose votre pays, le Sénégal, pour augmenter ses échanges et développer plus ses relations avec l’Algérie, ou ce que vous souhaitez des liens et dans ce cadre ?
En terme avantage pays, le Sénégal occupe une position géographique des plus avantageuses et avant de détailler sa politique de promotion des investissements, il est important de mentionner que c’est d’abord le pays le plus stable de la région. Ce qui est un signal fort aux investisseurs et puis au plan géostratégique, on peut toucher depuis le Sénégal toute l’Afrique de l’Ouest. A partir du Dakar, vous avez accès à plusieurs destinations, c’est est un véritable carrefour de grandes routes maritimes vers les USA,l’Europe, avec une façade de 500 km et vers l’Afrique de l’Ouest en profondeur pour toucher la communauté de la Cedeao dont nous faisons partie. Au plan de développement, c’est un véritable cap sur l’économie. Nous avons mis en place un cadre d’investissement incitatif, avec de nombreuses facilités. L’Etat sénégalais a créé une agence de promotion des investissements et de grands travaux dotés d’un système de guichet unique. Soit zéro bureaucratie ! M. Macky Sall, le Président du Sénégal qui préside depuis cette année le 35e Sommet de l’Union africaine (UA), a une vision exprimée dans le Plan du Sénégal Emergent (PSE), qui va jusqu’à 2035. Le Sénégal est aujourd’hui, un pays en chantier qui présente beaucoup d’opportunités sectorielles. Nous avons fait la découverte du pétrole et du gaz, ce qui va révolutionner l’économie sénégalaise. Là aussi, il y a des possibilités de mettre en place des partenariats dans le secteur de l’énergie. Concrètement, le cadre des affaires est favorable et incitatif aux investissements, dans le cadre PSE industrialisations. Je rappelle que de notables facilitations sont accordées. Nos deux pays peuvent travailler dans divers domaines afin de doubler et tripler rapidement nos échanges.
En quoi consiste le Plan Sénégal Emergent ?
Comme je l’ai dit, le Président M. Macky Sall a mis en place ce plan de développement jusqu’à 2035 ; il s’agit d’un nouveau modèle de développement pour accélérer sa marche vers l’émergence. Cette stratégie, dénommée Plan Sénégal Émergent (PSE), vise à conduire le Sénégal sur la voie de l’émergence à l’horizon 2035. Actuellement, nous sommes dans la phase du Programme d’action prioritaire accéléré le PAP regroupant ainsi un certain nombre d’actions, projet prioritaire par secteur. Plusieurs projets de réalisation d’infrastructures aéroportuaires, transport ferroviaire, ville nouvelle, centrales énergie, formations du capital humain, etc. sont réalisés dans ce cadre PSE et de nombreux autres en cours et à venir. Ce programme fait du Sénégal, une destination d’investissement compétitive dans de nombreux domaines et en particulier dans les services et la santé. Parmi les secteurs prioritaires, l’agriculture représente d’importantes opportunités d’investissement dans des filières variées et à fort potentiel tel que le secteur halieutique, l’élevage, le tourisme…
Quel état des lieux du potentiel industriel algérien avez-vous fait durant cette courte période de votre présence en Algérie et qui pourrait répondre aux besoins du Sénégal à court et moyen terme ?
Comme je l’ai dit plus haut, le potentiel Algérie est énorme devant les modestes échanges. J’ai invité des entreprises algériennes à découvrir le Sénégal qui, au plan économique, est le plus actif avec un taux de croissance de 6% avant la Covid-19, malgré la sombre année 2020 où nous avons perdu 2%, le taux actualisé s’établit à 4% en 2022. Le pays est en bonne phase de croissance, on s’active pour réaliser de nouveaux taux. De nombreux avantages sont accordés aux investisseurs.
Nous constatons une riche activité diplomatique entre les deux pays ces derniers mois, à l’image de vos différentes visites dans certaines régions du pays,en février de cette année, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a ordonné lors de la réunion du Conseil des ministres l’ouverture d’une ligne maritime commerciale reliant Alger à la capitale sénégalaise Dakar, aussi, un Salon exclusivement algérien pour le secteur pharmaceutique se tiendra à Dakar ce mois de mai, peut-on déduire qu’une relation économique très forte est en train de prendre forme et quels seront les échanges sectoriels possibles au profit des deux pays ?
Justement, je saisis cette opportunité pour remercier Monsieur le Président Abdelmadjid Tebboune, pour un certain nombre de mesures qu’il a prises cette année, à l’instar de cette réouverture de la ligne directe aérienne avec la compagnie Air Algérie établie, à raison de deux fois par semaine ou prochainement de la voie maritime directe Alger-Dakar. La liaison maritime directe va aussi s’ouvrir. Il s’agit là d’un signal fort. Le trajet va être raccourci entre Alger et Dakar, inutile de faire escale dans les pays européens de la rive sud de la Méditerranée pour débarquer au Sénégal. Ainsi, les délais de trajets passeraient de 30 à 15, voire 10 jours, avec une économie de coût ; c’est extrêmement important. Il n’y a pas que le transport et la logistique qui sont mis en place. Bientôt, une ou deux banques algériennes vont ouvrir des agences à Dakar. L’accompagnement d’une banque va assurer l’aspect financement, cela facilitera la tâche aux opérateurs algériens et sénégalais. L’idée de base est d’établir une connexion entre ces deux pays pivots, à savoir, l’Algérie pour le Maghreb d’une part, et le Sénégal pour la profondeur vers l’Afrique de l’Ouest d’autre part, afin de propulser un dynamisme économique aux deux parties qui vont tirer vers le haut le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest. Je pense que les choses sont en train de se mettre en place pour être à temps d’ici l’entrée en vigueur des accords de la Zlecaf. Reste à encourager les opérateurs à multiplier ses partenariats et concrétiser.
Au début de cette année, vous avez déclaré depuis Mostaganem, que votre pays est intéressé par le partenariat avec les opérateurs algériens et le transfert de l’expérience algérienne dans les domaines de l’énergie, l’agriculture, la création d’unités industrielles (fabrication) et la formation professionnelle. Peut-on avoir plus de détail sur vos attentes à ce sujet ?
Pour les échanges du côté sénégalais, nous pouvons exporter des produits agricoles, la mangue par exemple est très demandée. Idem pour l’arachide et les produits halieutiques. Au plan partenariat, il y a de fortes possibilités de partenariat dans le secteur de l’énergie avec les compagnies Sonelgaz et Sonatrach, avec la récente découverte du pétrole et gaz qui va bientôt entrer dans sa phase d’exploitation et commerciale comme prévu pour 2023. Au Sénégal, nous encourageons le partenariat privé-public. Nous espérons profiter aussi de l’expertise de Cosider qui est un major du Btp, qui je l’espère viendra au Sénégal prendre des chantiers de la construction à l’exploitation, cadré par un système de concession mis en place par l’Etat. Ce concept incite les constructeurs à venir construire, exploiter et transférer. C’est le système de concession ou contrat BOT (Build operate transfert) qui est mis en place maintenant dans le cadre du Sénégal Emergent. Beaucoup de chantiers de construction à lancer dans ce cadre, chemin de fer, concession de grand hôpitaux… peuvent être réalisés dans ce cadre avec une concession de 25 ou 30 ans. L’autoroute reliant la ville à l’aéroport est construite avec ce système en concession avec le groupe français du Btp Eiffage. Pour ma part, j’ai sollicité particulièrement
Cosider groupe pour saisir des chantiers dans le cadre de ce système BOT, un cadre où le concessionnaire assure le financement à 80% du projet, en contrepartie, il exploite avec possibilité de transfert.
D’El Oued à Oran en passant par Mostaganem, j’ai plaidé auprès des opérateurs algériens que le Sénégal est un pays ouvert, où il est facile de s’installer non pas pour viser ses 17 millions d’habitants, mais toute la communauté de la Cedeao. Vous pouvez exporter depuis le Sénégal en ayant les avantages intra-africains.
Aujourd’hui, le Sénégal s’approvisionne de Chine, de Turquie des produits qui sont disponibles en Algérie et de très bonne qualité et avantageux en terme de prix et de temps d’acheminement. L’information ne circulait pas vraiment. J’invite les opérateurs algériens à participer à la Foire internationale de Dakar qui se tiendra en décembre prochain où de nombreuses entreprises de l’Afrique de l’Ouest viennent en exposants ou visiteurs. L’Algérie regorge d’un potentiel faramineux de Pme qu’il faut rendre visible dans la communauté. Il faut reconnaître que l’Algérie a très tôt diversifié son économie. Le secteur privé est bien développé, les relations politiques entre l’Algérie et le Sénégal sont bonnes, reste à densifier ces échanges et partenariats.
Quels sont les moyens mis en œuvre actuellement ?
Pour y parvenir, à savoir doubler nos échanges d’ici trois ans, nous y travaillons. De notre côté, nous comptons avec les partenaires algériens n charge de la promotion, multiplier les actions de communication, et actuellement nous sommes en préparation d’un Forum international qui se veut une rencontre entre patrons et organisations afin de fluidifier l’information. Une trentaine d’entreprises sénégalaises, les agences, le patronat viendront rencontrer leurs homologues algériennes, notamment dans les secteurs prioritaires et inversement organiser un forum pour les Algériens au Sénégal. Le Sénégal compte beaucoup de partenaires et pourra servir de pont si les opérateurs algériens viennent s’installer.
Selon vous, Monsieur l’ambassadeur, l’industrie pharmaceutique en Algérie qui connaît un réel développement avec plus de 170 laboratoires performants, peut-elle constituer dans un avenir proche, une activité privilégiée et participer à la couverture de la santé au Sénégal ?
Cela note bien la vitalité de nos relations. Délocaliser un Salon algérien pour une première fois vers l’étranger et de plus à Dakar note le dynamisme et le soutien que nous apportons à intensifier ses relations économiques. Ce qui est important aujourd’hui, l’Algérie et le Sénégal ont beaucoup de complémentarité. L’Algérie est un modèle pour de nombreux pays africains dans divers domaines qui peut nous être profitable. Elle est le premier pays à mettre en place un ministère dédié à l’Industrie du médicament.
L’Algérie s’est dotée d’une véritable industrie pharmaceutique et dispose ainsi d’une souveraineté sanitaire. Nous avons tous eu à constater durant la Covid-19 comment chaque pays a usé de protectionnisme, et nous avons tiré enseignement. Seuls ceux qui avaient cette capacité ont pu faire face à cette crise sanitaire. Le Sénégal offre des perspectives d’investissements attractives à travers toute la chaîne de valeur, de la recherche-développement à la production de médicaments génériques et de produits phytopharmaceutiques.
Le Sénégal dispose d’un fort potentiel humain formé, nous vous annonçons fièrement dans ces colonnes que nous avons la plus ancienne faculté de pharmacie en Afrique datant des années cinquante. Nous avons une plateforme industrielle, et là à travers cette rencontre, on verra comment l’Algérie apportera son expertise pour renforcer ce partenariat commercial et industriel. Peut-être que des pharmaciens sénégalais viendront en formation ici en Algérie.
Nous avons mis une agence de médicament, le décret a été publié la semaine passée. À l’occasion, elle aura aussi à concrétiser des partenariats avec son équivalent en Algérie, à savoir l’ANPP (Agence nationale des produits pharmaceutiques). Le médicament est stratégique, la Covid-19 a renforcé ce caractère du secteur pharmaceutique. Le Sénégal projette de construire une unité de fabrication de vaccins anti-covid, et voire d’autres vaccins avec une possibilité de partenariat avec Saidal.
Sachez bien qu’il sera plus facile et plus avantageux d’exporter sans droits de douane si vous produisez et exporter à partir du Sénégal vers la communauté à savoir dans les pays partenaires, le Mali, Côte d’ivoire, Nigeria que d’exporter en étant extra communauté.
Un mot pour conclure…
Merci pour l’intérêt du Président Abdelmadjid Tebboune qui a misé sur le Sénégal. De notre côté, nous tendons la main à tout le secteur privé algérien et public de venir au Sénégal et développer ensemble le marché intra-africain.
K A. MC.